L’Institut luxembourgeois de régulation (ILR) se prépare à opposer un nouveau refus à l’offre de référence de l’Entreprise des postes et télécommunications pour ses services d’interconnexion (RIO) pour l’année 2010, déjà largement entamée. Les nouveaux tarifs, en hausse de trois pour cent en moyenne, devaient s’appliquer au 1er janvier dernier, mais faute de consensus, ce sont ceux de 2007 qui restent en vigueur et qui devraient d’ailleurs le rester tout au long de l’année.
Sur le terrain miné de la téléphonie fixe, le régulateur luxembourgeois du secteur des télécommunications avance avec la prudence des Sioux : rien n’est laissé au hasard surtout depuis que l’ILR a vu une partie de ses décisions annulées (dont l’offre d’interconnexion pour 2007) par le tribunal administratif, l’EPT en contestant la légalité ainsi que le pouvoir que s’était arrogé, à tort, le régulateur (celui notamment d’imposer directement « ses » tarifs, alors qu’il ne disposait à l’époque que du seul pouvoir de vérification). Le dossier est d’ailleurs loin d’être clos, puisque des recours sont actuellement pendants en appel devant la Cour administrative, ce qui permet aux tarifs prévus par le RIO de 2007 de rester en vigueur, l’annulation de la décision en première instance n’ayant pas de caractère suspensif.
L’offre d’interconnexion permet aux opérateurs dits alternatifs, qui ne disposent pas de l’infrastructure technique nécessaire pour offrir des services de télécommunications fixes, de « squatter » contre rémunération les installations de l’EPT, qui a l’obligation, sur ce marché encore considéré comme « régulé », de leur ouvrir son réseau, et ce à prix « orientés sur ses coûts ». La règlementation européenne lui interdit donc de se servir de grosses marges sur le dos de ses concurrents. Or, les opérateurs alternatifs affirment, dans un document de consultation publié récemment sur le site Internet de l’ILR que les tarifs RIO 2007 de l’opérateur public se situent entre 16 et 33 pour cent au-dessus de la moyenne européenne. Et les réductions de prix proposées dans l’offre RIO 2010 se limiteraient à trois pour cent. Insuffisant par rapport aux baisses opérées dans le secteur de la téléphonie fixe en Europe. De leur côté, les dirigeants de l’EPT ont des hauts le cœur à chaque intervention du régulateur qui inflige à l’entreprise des obligations jugées disproportionnées pour la taille du marché luxembourgeois. Comme le rappelle Marcel Gross, le patron de l’EPT dans une interview à Paperjam et bien que ces propos sortent du contexte des RIO, « nous devons avoir la certitude que nous pourrons amortir cet investissement (il évoque ici le réseau de fibres optiques, ndlr) et travailler avec les autres opérateurs qui viendront utiliser ce réseau dans le cadre d’une relation commerciale raisonnable ». Le tout est de savoir si ce qui est raisonnable pour l’EPT l’est aussi pour les autres opérateurs.
Le quatorzième rapport de la Com–mission européenne sur l’état d’avancement de la concurrence dans les télécoms en Europe signalait qu’au grand-duché, les tarifs d’interconnexion pointaient largement au-dessus de la moyenne : 0,76 cents par minute en tarif régional et un euro en tarif national en octobre 2008 contre des moyennes respectives dans l’UE de 0,57 et 0,86 cents. Le quinzième rapport de la Commission, publié le 25 mai dernier, a vu cette moyenne européenne encore baisser à 0,52 cents en moyenne au niveau local et 0,79 cents au niveau national, alors que les prix de l’interconnexion restent scotchés à leur niveau de 2007 au Luxembourg, creusant ainsi encore davantage l’écart. Dans le palmarès européen, le Luxembourg figure au dix-neuvième rang sur 26. Les consommateurs ne sont d’ailleurs pas mieux lotis dans le domaine du mobile : les tarifs d’interconnexion en moyenne nationale y sont de 9,13 cents par minute (11,6 cents en octobre 2007), alors que la moyenne européenne s’affiche à 6,70 cents. Le grand-duché occupe ainsi avec l’Irlande et la Bulgarie la queue du peloton des pays qui chargent le plus lourdement leurs abonnés aux services de téléphonie mobile. Les tarifs de la bande large, largement dominée par l’EPT qui détient 67,2 pour cent de parts de marchés et même 76,1 pour cent si on tient compte de la revente de lignes Internet aux opérateurs alternatifs, permettent là encore difficilement aux concurrents de l’EPT d’offrir une alternative triple ou même quadruple play (couplage de services de téléphonie fixe, mobile, Internet et parfois TV) valable. Ce que déplore d’ailleurs la Commission européenne dans son dernier rapport.
Dans un des documents publiés sur le site de l’ILR, l’opérateur privé Tango réclame davantage de baisse des prix de l’interconnexion pour les aligner sur les prix observés dans les pays voisins. Le tarif RIO 2010 calculé pour un appel d’une durée de trois minutes « montre que le prix régional proposé par l’EPT reste 29 pour cent plus élevé que la moyenne européenne d’octobre 2008 », souligne ainsi l’opérateur.
Les griefs des opérateurs alternatifs dans le fixe ne se limitent pas aux prix facturés. Le système de présélection des numéros, permettant à un abonné de passer du réseau de l’EPT à celui de l’opérateur de son choix, « reste inefficace pour le consommateur et l’opérateur alternatif », affirme un document de l’asbl Opal, qui regroupe les principaux concurrents de l’EPT à l’exception de Tango. Le quinzième rapport des télécoms pointe également du doigt cette anomalie d’un marché luxembourgeois du réseau fixe, où l’opérateur historique fait encore la pluie et le beau temps, plus de dix ans après l’ouverture du marché à la concurrence.
Le refus de l’ILR des tarifs RIO 2010 de l’EPT ne s’appuie pas que sur les avis des opérateurs alternatifs (asbl Opal et Tango). La décision du régulateur s’inspire très largement d’un avis qu’il avait demandé en 2008 au bureau de consultants Van Dijk Management Consultant (d’Land 17/04/2009). Le rapport du 23 décembre 2008 mettait en cause les méthodes peu transparentes employées par l’opérateur public pour établir les coûts des tarifs d’interconnexion. Les experts de Van Dijk indiquaient par exemple que les preuves fournies par l’EPT « ne permettaient pas à l’institut (ILR, ndlr) de vérifier le respect par l’EPT de son obligation de l’orientation des tarifs en fonction des coûts ». Les consultants avaient notamment reproché à l’EPT d’inclure dans le calcul de ses coûts opérationnels des actifs déjà très largement amortis.
Les dénégations des dirigeants des P[&]T n’ont eu aucune influence sur la décision de l’ILR. Son refus fait l’objet d’une consultation publique préalable jusqu’à la fin du mois de juin. Une fois que la décision sera définitive, l’EPT aura la possibilité de la contester devant les juridictions administratives. La guéguerre que les deux institutions se livrent est donc loin d’être terminée.