Selon le « Panorama de la santé 2019 », publié début novembre par l’OCDE, les dépenses de santé dans les pays membres vont continuer à augmenter, en valeur et en proportion du PIB. Mais la hausse ne devrait pas être considérable, malgré les incidences du vieillissement des populations. Des mesures efficaces ont été prises depuis plusieurs années pour les contenir. Toutefois il reste du pain sur la planche, notamment du côté de la prévention des comportements à risque.
Le niveau des dépenses de santé est très variable selon les pays membres. En valeur absolue elles se sont élevées à environ 4 000 dollars par personne (montant ajusté en fonction des pouvoirs d’achat), en moyenne dans les pays de l’OCDE en 2018. Aux États-Unis on dépasse les 10 000 dollars par habitant, tandis qu’au Mexique voisin on ne dépense qu’environ 1 150 dollars, soit presque neuf fois moins ! Les écarts sont moindres quand on raisonne en termes relatifs : les États-Unis arrivent toujours en tête, avec 16,9 pour cent de leur PIB devant la Suisse avec 12,2 pour cent. Viennent ensuite l’Allemagne, la France, la Suède et le Japon, où les dépenses sont voisines de onze pour cent du PIB. À l’autre bout du spectre, les dépenses sont inférieures à six pour cent dans des pays aussi différents que le Mexique, la Lettonie, la Turquie et… le Luxembourg (voir le Land du 20 septembre).
Dans presque tous les pays, les dépenses de santé augmenteront plus vite que le PIB au cours des quinze prochaines années. Leur taux de croissance annuel moyen sera de 2,7 pour cent de sorte qu’elles atteindront 10,2 pour cent du PIB total des pays membres en 2030, contre neuf pour cent cette année et sept pour cent il y a vingt ans. La principale raison est connue : dans les 35 pays de l’OCDE, la part de la population de plus de 65 ans devrait passer de 17 à 28 pour cent entre 2015 et 2050, avec des niveaux largement supérieurs à trente pour cent dans plusieurs pays d’Europe, au Japon et en Corée. Celui de la population âgée de 80 ans et plus passera de quatre à onze pour cent, culminant à quinze pour cent en Italie et au Japon. Une évolution qui se traduira nécessairement par une augmentation des dépenses de soins et de dépendance car « l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans » stagne depuis plusieurs années à environ 74,5 ans.
Même si la dérive des dépenses ne semble pas dramatique (1,2 point de PIB de plus dans les onze prochaines années), ces chiffres font naître des inquiétudes pour le financement des systèmes de santé, qui dans la plupart des pays dépendent en grande partie de sources publiques. D’autre part, il apparaît que malgré les sommes dépensées, certains indicateurs n’évoluent pas comme on l’aurait souhaité. Ainsi l’espérance de vie, qui est actuellement de 81 ans en moyenne parmi les pays membres de l’organisation, contre 79,5 ans en 2009, n’augmente plus que lentement dans la plupart des pays (27 au total) en particulier aux États-Unis, en France et aux Pays-Bas. L’année 2015 a été particulièrement mauvaise, avec un recul enregistré dans 19 pays ! C’est surtout la conséquence de modes de vie et d’alimentation malsains, qui ne sont pas corrigés assez rapidement.
Si le tabagisme diminue, 18 pour cent des adultes fument encore quotidiennement (contre 22,1 pour cent en 2009 et 40 pour cent il y a vingt ans), la consommation d’alcool ne baisse que très faiblement : en moyenne elle est de 8,9 litres d’alcool pur par personne et par an, contre 9,1 litres en 2009, une quantité qui correspond à l’absorption du contenu de 100 bouteilles de vin de 75 cl à douze degrés. Quatre pour cent des habitants des pays de l’OCDE sont dépendants à l’alcool. De même la corpulence des gens se maintient à un haut niveau, avec 55,6 pour cent des adultes en surpoids, contre 55,7 pour cent il y a dix ans, dont près du tiers peuvent être qualifiés « d’obèses ». Le problème touche déjà un tiers des enfants âgés de cinq à neuf ans.
La conséquence est la progression de maladies chroniques comme le diabète, qui contrebalance les avancées dans le traitement des maladies cardiaques et des AVC. En 2017, 6,4 pour cent de la population adulte des pays de l’OCDE, soit près de cent millions de personnes, souffraient de diabète, quinze millions de plus qu’en 2010 avec un taux de six pour cent. Si la proportion était inférieure à la moyenne en Belgique, au Luxembourg et en France (entre 4,3 et 4,5 pour cent), elle était nettement plus élevée en Allemagne et surtout aux États-Unis (respectivement 8,3 et 10,8 pour cent).
D’autres points restent préoccupants. La pollution atmosphérique est responsable d’environ quarante décès pour 100 000 habitants dans les pays de l’OCDE. Mais ce taux de mortalité reste modeste par rapport à celui de l’Inde et de la Chine, qui déplorent 140 décès pour 100 000 habitants. Les maladies respiratoires, comme la grippe et la pneumonie, ont fait davantage de victimes ces dernières années, notamment chez les personnes âgées. Et depuis 2011 les décès liés aux opioïdes ont augmenté d’environ vingt pour cent dans les pays de l’OCDE, un chiffre tiré vers le haut par la situation dramatique des États-Unis où environ 400 000 victimes ont été recensées. Des chiffres de mortalité élevés ont aussi été enregistrés au Canada, en Estonie et en Suède.
Selon le Panorama 2019, les dépenses de santé ont déjà pu être contenues, grâce à des mesures qui méritent d’être amplifiées, car leurs résultats sont encore insuffisants, globalement ou dans certains pays. Ainsi le recours aux médicaments génériques est un important facteur d’économies, mais ils ne représentent actuellement que la moitié du volume des produits pharmaceutiques vendus dans les pays de l’OCDE (et un quart de la valeur) avec de fortes différences géographiques. En 2017, les génériques ont représenté plus des trois quarts du volume des produits pharmaceutiques vendus au Chili, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. En revanche, ils pesaient moins d’un quart du total au Luxembourg et en Suisse, où d’importantes marges de progression existent. Le transfert de certaines tâches actuellement accomplies par des médecins vers des infirmiers, d’autres professionnels de santé (pharmaciens), voire des tiers spécialement formés (opticiens), permettrait de réaliser des gains d’efficience. En effet, les systèmes de santé et de protection sociale représentent aujourd’hui un emploi sur dix au sein des pays membres, un niveau jamais atteint mais qui se révèle très coûteux.
Du côté des hôpitaux, lesquels pèsent lourd dans le total, la progression de la chirurgie ambulatoire, la baisse des taux d’hospitalisation et la réduction de la durée des séjours à l’hôpital seraient également le signe d’une utilisation plus efficiente des moyens. Il faut en profiter pour améliorer la sécurité des patients hospitalisés alors que près de cinq pour cent d’entre eux ont contracté une infection nosocomiale en 2015-17. Des actions dans ce sens sont à la fois bénéfiques pour la santé publique et génératrices d’économies.
Chez tous les membres de l’organisation existent des études mesurant la perception des habitants sur leur propre état de santé. En 2017, 8,7 pour cent des adultes des pays de l’OCDE s’estimaient en mauvaise ou très mauvaise santé. Un chiffre élevé, mais tiré vers le haut par le « pessimisme » des Japonais (14,1 pour cent), des Coréens (17), des Portugais (15,3) et de certains Européens de l’est (Pologne, pays baltes). A l’opposé, les Américains et les Canadiens, avec des proportions respectives de 2,6 et 3,2 pour cent semblent plus optimistes que les statistiques de santé dans leurs pays ne le donnent à penser. Malgré tout, le rapport préconise d’accorder une attention accrue aux déclarations des patients quant aux résultats et au vécu de leur parcours de soins. Pour Stefano Scarpetta, directeur de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE, « il est essentiel, si nous voulons affecter des ressources là où elles auront le plus d’impact, d’évaluer comment les systèmes de santé transforment la vie des individus pour le meilleur ».
Difficultés d’accès
Selon un sondage BVA publié en France le 10 novembre, 41 pour cent des sondés ont avoué avoir renoncé à des soins en raison de la part restant à leur charge et trente pour cent par l’impossibilité d’avancer les frais. De plus 44 pour cent ont invoqué des délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et 25 pour cent un manque de médecins à une distance raisonnable de leur domicile. Au total, 63 pour cent des sondés ont renoncé à des soins ou les ont reportés, Une proportion qui grimpe à 77 pour cent pour les personnes en situation de handicap, 74 pour cent dans la tranche d’âge des 25-34 ans et 72 pour cent chez les personnes dont le revenu mensuel net est inférieur à 1 500 euros. Un comble dans un pays souvent cité en exemple pour la qualité de son système de santé ! Mais une situation courante dans les pays de l’OCDE, car bien qu’ils offrent presque tous une couverture universelle ou presque pour un ensemble de services de base, un adulte sur cinq qui a besoin de consulter un médecin ne le fait pas, les moins aisés étant les premiers à renoncer. Ces derniers participent aussi moins aux programmes de dépistage du cancer, alors même que la plupart sont gratuits. Si les plus pauvres sont trois fois plus susceptibles que les plus aisés à renoncer c’est en raison d’un « reste à charge » élevé : un cinquième de l’ensemble des dépenses de santé en moyenne OCDE, et plus de quarante pour cent en Lettonie et au Mexique. De plus certains services sont exclus de la couverture sociale de base ou « rationnés ». Mais dans certains pays ce sont les délais d’attente qui entravent l’accès aux soins dans certains pays. Par exemple, plus d’un an pour une arthroplastie du genou (pose d’une prothèse) au Chili, en Estonie et en Pologne. Les difficultés de transport, une mauvaise information et la crainte d’une faible qualité des soins jouent aussi un rôle important dans le renoncement. gc