Le slogan publicitaire d’une célèbre mutuelle d’assurances française garantit qu’elle est « efficace et pas chère ». Il pourrait s’appliquer au système de santé luxembourgeois, selon l’étude statistique annuelle publiée début juillet par l’OCDE*, qui fourmille d’informations sur la santé dans les 34 pays membres, dont le Luxembourg. Elle confirme les résultats obtenus dans le cadre d’autres enquêtes nationales ou européennes, à savoir : le système de santé du Grand-Duché est performant et peu coûteux malgré les apparences. Mais plusieurs points restent préoccupants et méritent d’être surveillés.
En valeur monétaire, les dépenses par habitant en soins de santé au Luxembourg sont les plus élevées de l’UE et parmi les plus importantes de l’OCDE. Avec 5 288 euros par personne en 2018, c’est 15 à 18 pour cent de plus qu’en Allemagne et aux Pays-Bas, 29 à 35 pour cent de plus qu’en Belgique et en France et largement plus du double qu’en Italie (2560) ou en Espagne (2300). Dans le monde développé, seuls les États-Unis et la Suisse font mieux. Depuis 2015 la hausse a été de 8,5 pour cent.
En valeur relative toutefois, le Luxembourg dépense beaucoup moins pour la santé que la moyenne des pays de l’OCDE (5,4 pour cent du PIB contre 8,8) et que la plupart des pays d’Europe de l’ouest et du nord, qui affichent des chiffres compris entre 9 et 12 pour cent. De plus, compte tenu du mode de financement de ces dépenses, leur poids dans le budget des ménages au Luxembourg est parmi les plus faibles de l’UE.
L’état sanitaire de la population est bon : les habitants du Luxembourg vivent plus longtemps que la plupart des Européens, même s’ils ne sont pas toujours en bonne santé après 65 ans. L’espérance de vie à la naissance était de 82,5 ans en 2016, contre 78 ans en 2000, se situant au quatrième rang dans l’UE (moyenne de 81 ans).
La plupart des gens déclarent être en bonne ou très bonne santé (71 pour cent en 2017). C’est cinq à six points de plus qu’en France ou en Allemagne et davantage que la moyenne de l’UE (67 pour cent), mais moins qu’en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Scandinavie. Par ailleurs il n’existe qu’une très faible différence en fonction du revenu alors qu’en Europe la proportion est de 80 pour cent chez les 20 pour cent les plus aisés, et de 60 pour cent chez les 20 pour cent aux revenus les plus faibles.
L’efficacité des soins est mesurée par différents indicateurs, comme le taux de « mortalité évitable » qui est parmi les meilleurs de l’UE : à peine dix pour cent de la mortalité toutes causes confondues est considérée comme évitable. C’est moins que la moyenne européenne (onze pour cent), et le deuxième rang européen derrière la France, ce qui indique que « le système de santé du Luxembourg est, dans l’ensemble, très efficace pour traiter les pathologies qui mettent la vie en danger ».
Il s’appuie sur des ressources humaines de bonne qualité et étoffées. En 2017, on comptait au Luxembourg 76 emplois de santé pour mille habitants. Une densité inférieure à celle que l’on trouve en Scandinavie ou aux Pays-Bas (entre 82 et 88) mais meilleure que celles de l’Allemagne (71), de la France et de la Belgique (respectivement 58,5 et 54,5). Un grand nombre de ces emplois sont occupés par des étrangers, très souvent des frontaliers.
L’état de santé de la population ne dépend pas seulement des soins qui lui sont prodigués mais de ses modes de vie. Est-ce à dire que la population luxembourgeoise se comporte de manière vertueuse ? Sur les trois critères-clés que sont le tabagisme, la consommation d’alcool et l’alimentation, c’est loin d’être le cas.
En 2018, 14,5 pour cent des adultes au Luxembourg fumaient du tabac tous les jours, une proportion modeste, et en forte baisse car elle était encore de 23 pour cent en 2005. Une évolution favorable pour faire régresser le cancer du poumon qui est la troisième cause de décès. Mais le taux atteint n’est pas exceptionnel : on fume moins (entre 10 et 12 pour cent de pratiquants) en Europe du nord, au Canada et aux États-Unis. Et le recul est moins prononcé pour les jeunes de quinze ans, en particulier les filles, dont une sur six fume régulièrement.
La consommation d’alcool par adulte a diminué, mais avec 11,3 litres par habitant elle est supérieure de 1 litre à la moyenne de l’UE. Elle dépasse celle de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Italie, de l’Espagne, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. De plus, 35 pour cent des adultes ont une consommation excessive, une des proportions les plus élevées d’Europe (où la moyenne est de vingt pour cent). La situation est encore plus préoccupante chez jeunes adultes (18-24 ans) dont 41 pour cent boivent trop contre 31 pour cent en moyenne. Une situation en partie liée au niveau relativement faible des taxes sur la bière, le vin et les spiritueux. Le taux de décès liés à l’alcool au Luxembourg, bien qu’en diminution régulière, était légèrement supérieur à la moyenne de l’UE en 2016 et l’alcool était également la deuxième cause d’accidents de la route, environ trente pour cent des accidents mortels lui étant imputable.
En apparence l’alimentation est satisfaisante. Le Luxembourg est à la huitième place en Europe pour la consommation quotidienne de cinq portions de fruits et légumes ou davantage. Plus de quinze pour cent des adultes le font, un point de plus que la moyenne européenne et sans gros écarts selon le niveau social. Mais la proportion de non-consommateurs est élevée : 36,2 pour cent, contre 34,4 pour cent dans l’UE et à peine seize pour cent en Belgique !
De plus, quinze pour cent des adultes se considèrent eux-mêmes comme obèses, avec un IMC (indice de masse corporelle) supérieur à trente. C’est comparable à la France, mais nettement supérieur aux niveaux connus en Belgique et aux Pays-Bas (respectivement 14 et 13,3 pour cent) ou à l’Italie (10,7). De plus le pourcentage de jeunes de quinze ans en surcharge pondérale a progressé de 40 pour cent entre 2005 et 2015.
Les facteurs de risque liés à l’hygiène de vie sont plus fréquents parmi les populations défavorisées sur le plan des revenus ou de l’éducation, à l’exception de la consommation excessive d’alcool qui est légèrement plus répandue parmi les adultes éduqués. Le cas est flagrant avec l’obésité : elle n’est que de 8,3 pour cent chez les personnes ayant un niveau d’éducation élevée alors qu’elle touche 22,8 pour cent des moins éduquées. C’est 2,8 fois plus, alors que l’écart est plus limité au niveau européen (1,7 fois plus). Cette différence selon le niveau d’études est la plus élevée de l’UE après la Slovénie.
En revanche un satisfecit peut être décerné au Luxembourg sur la consommation pharmaceutique, qui représente 11,9 pour cent des prestations versées par la CNS. Selon l’OCDE elle se montait en 2018 à 425 dollars par personne au Grand-Duché. Parmi les pays membres comparables, seuls les Pays-Bas sont en dessous. Les Allemands dépensent quarante pour cent de plus, les Suisses 54 pour cent et les Belges 78 pour cent !
Patients transfrontaliers
Au Luxembourg, environ un assuré à la CNS sur six se fait soigner à l’étranger, ce qui est de loin le pourcentage le plus élevé de l’UE. On peut distinguer deux groupes. Le premier et le plus important est constitué de frontaliers non-résidents venus de France, de Belgique et d’Allemagne. Comme ils travaillent au Luxembourg, ils sont automatiquement affiliés à la CNS où ils représentent 34,5 pour cent de la « population protégée » mais ils se font soigner principalement dans leur pays de résidence. Il faut y ajouter les dépenses des pensionnés établis à l’étranger, couverts par la CNS. Le second, nettement plus restreint, se compose de résidents luxembourgeois qui ont besoin de services de santé spécialisés qui ne sont pas disponibles au Luxembourg (traitement de certains cancers, transplantation d’organes). Ils sont soignés dans les pays voisins et, en général, la CNS accorde assez facilement son autorisation préalable (6200 bénéficiaires en 2017 pour 1300 refus). En 2017, les sommes versées par la CNS pour des soins à l’étranger se sont élevées à 426,3 millions d’euros, à 80 pour cent en faveur de salariés et pensionnés étrangers. Cela représente 18,5 pour cent du total des prestations. gc