Contribuer régulièrement à la page Stil du Land impose une discipline particulière : il faut trouver des restaurants sympas, des boutiques à la pointe du design, des artisans originaux. Se nourrir exclusivement de sushis dès le petit déjeuner. Se meubler urbano-cosmopo-socio-bobo-écolo. Recouvrir ses murs d’œuvres conceptuelles de l’avant-garde locale. Pourtant, en réalité, ce qu’on aime, comme tout le monde, c’est commander nos fringues dans le catalogue de La Redoute, manger des saucisses grillées au barbecue, nous meubler chez Conforama et, surtout, oui surtout, traîner dans les rayons de la Coopérative de Bonnevoie.
Pour ceux qui se demandent comment il était possible qu’il y ait eu une vie sur terre avant Internet et les téléphones portables, il va falloir faire un effort d’imagination encore plus important et se figurer un Luxembourg sans Auchan et même sans le centre commercial de la Belle Étoile. Une époque où les gens faisaient leurs courses chez Monopol, Alima ou, donc, la Coopérative des cheminots de Bonnevoie. Ce n’était pas tout à fait le Bonheur des dames de Zola, les voitures avaient, depuis quelques temps déjà, remplacé les fiacres.
D’ailleurs, il est encore possible de voyager dans le passé et d’avoir un aperçu de ce temps-là en marchant cinq minutes depuis la gare. On traverse la passerelle, elle aussi d’un autre âge, et on découvre alors la Coopérative. Et, là, si l’on fait abstraction des dates limite de consommation et des packagings modernes, rien n’a changé.
Des tableaux en étain avec les crochets pour les clés de la cave. La collection entière des accessoires Fackelmann, depuis le moule à tartelette jusqu’à la pompe à jus pour arroser le poulet. Des vases en cristal coloré. Toutes les tailles de tabliers. Des vide-poches aérodynamiques. Des décorations de Noël à l’unité. Des fleurs en tergal. Des figurines en porcelaine. Vous ne saviez pas que tout cela se vendait, et pourtant, en y réfléchissant bien, il est évident que votre grand-mère ne fabriquait pas ces objets elle-même. Aussi incroyable que cela soit, ces choses ne sont pas nées vieilles, avec de la poussière dessus, mais peuvent s’acheter neuves, emballées et sous garantie. Et le meilleur endroit pour dénicher ces trésors reste la Coopérative de Bonnevoie, avec son bazar de l’autre côté de la rue. Pardon, sa « galerie », avec une ribambelle de balais, la collection 2012/2013 des chariots à roulettes pour faire les courses, du matériel de camping, des valises de toutes tailles, de la porcelaine comme s’il en pleuvait et des bibelots dans tous les coins, entassés sur deux étages.
Surtout, la Coopérative est un magasin à l’ancienne, cent pour cent local, pas une franchise avec des quotas de vente imposés par une direction du marketing. Les gens y sont aimables, serviables et souriants. La carte de fidélité ne vous offre pas des cadeaux de partenaires commerciaux mais une participation aux bénéfices. Les publicités, on serait tenté de dire « les réclames », sont réduites à leur plus simple expression : une liste de produits avec leurs prix. Les photos en couleurs sont réservées pour les grandes occasions. Les clients négocient parfois la vente d’une bonne récolte de cèpes, cueillis sur les rives escarpées de la Moselle. Les produits locaux occupent, comme il se doit, une place de choix sur les rayons. Surtout s’ils sont un peu old school, comme le tapioca Meubert, les biscottes Brandt, la chicorée Majerus ou les cigarettes Maryland.
Et, à défaut d’être un grand mangeur de Kachkéis, on a au moins la satisfaction d’acheter du made in China, certes, mais sold in Luxembourg.