L’univers des micro-brasseries luxembourgeoises s’est développé depuis une petite dizaine d’années, avec l’arrivée de marques créées par de jeunes brasseurs et entrepreneurs : The Twisted Cat, Echternacher Brauerei, Wolff Brewing, Satori, Totenhopfen Brauhaus, Wait and see... Qu’ils soient des adeptes de la tradition belge, des pils légères et limpides, ou des IPA anglo-saxonnes, nombre d’entre eux ont adopté le brassage nomade (ou « gypsy brewing ») qui consiste à utiliser le matériel d’une brasserie-hôte pour réaliser ses brassins. Une pratique plutôt courante dans le milieu brassicole mais particulièrement répandue au Luxembourg, car y trouver un local adapté et abordable a tout du chemin de croix, en particulier dans la capitale.
Joseph Wolff, qui a lancé Wolff Brewing en 2022 après l’aventure Stuff Brauerei, se rend chez Heischter, à Heiderscheid, pour y brasser sa bière. « Avec Stuff, on avait nos propres locaux, mais je brassais déjà chez d’autres lorsque j’avais besoin de produire plus. Avec Wolff Brewing, je n’ai pas encore assez de capitaux pour louer mon propre lieu », explique-t-il. Joseph, britannico-luxembourgeois formé à Bruxelles, privilégie l’équilibre et les bières de fermentation haute, aux goûts plus prononcés. Il s’ouvre également à des recettes plus audacieuses (« les gens aiment aussi être surpris »). Lorsqu’il a besoin d’un matériel supplémentaire et spécifique, il brasse aussi chez des amis en Belgique. « Je garde toujours le contrôle sur la recette et sur la qualité », précise-t-il.
Patricia Garbelini et Sergio Leal de Totenhopfen Brauhaus parcourent le monde afin de réaliser chaque nouvelle recette avec une brasserie partenaire, des États-Unis au Brésil en passant par le Portugal, l’Allemagne ou encore l’Europe de l’Est. « Le brassage nomade était moins une idée qu’une nécessité pour nous », explique Patricia. Cependant, Totenhopfen a fait de cette contrainte une partie intégrante de son identité, mettant volontiers en avant les aspects enrichissants de ces collaborations internationales. « Elles favorisent les échanges interculturels et la créativité. Elles permettent de faire découvrir aux consommateurs une plus large gamme de saveurs et de techniques. Collaborer nous permet d’apprendre les uns des autres, tout en offrant l’opportunité d’expérimenter des recettes non conventionnelles », détaille la brasseuse.
Par exemple, Totenhopfen travaille actuellement à éliminer le lactose dans de nouvelles recettes de style « pastry » : le partage d’expérience amène différentes manières d’atteindre l’équilibre souhaité. Patricia souligne les affinités et la confiance nécessaires à ce type de relation à distance. « C’est crucial car nous ne pouvons pas être présents à la brasserie tous les jours » note-t-elle. Parmi les nombreuses collaborations à venir, Totenhopfen s’apprête à travailler avec Sibeeria, en Tchéquie, pour une Double IPA, ou pour une bière aigre aromatisée à la goyave, à la betterave et au zeste de citron vert avec les roumains de Bereta. Joseph Wolff a lui aussi déjà expérimenté ce type de collaboration : sa Dark IPA « Rosa Luxembourg » a été réalisée avec une brasserie espagnole. « Chacun a imaginé une recette, puis on a harmonisé, décrit-t-il. Aujourd’hui la bière est disponible dans les deux pays ».
Wolff Brewing et Totenhopfen ont une autre ambition : ouvrir un « brewpub », un lieu mixant bar et brasserie. Mais la limitation des licences de cabaretage, leur coût et leur concentration entre les mains des grandes brasseries rendent ce type de projet difficile. Joseph Wolff a décroché une licence mais cherche encore un local. Selon Patricia, « pour les petites entreprises indépendantes, il n’y a pas eu beaucoup de progrès en termes d’opportunités depuis 2016, et la situation immobilière au Luxembourg pose aussi des défis importants. Pour s’épanouir dans cet environnement, il faut compter sur la créativité ou explorer des opportunités dans les pays voisins »..