Le piéton de Paris (pour emprunter à Léon-Paul Fargue, mais son territoire à lui s’étendait rive droite, du côté des deux gares), s’il remonte le boulevard Raspail, dans le quatorzième, ne peut pas ne pas s’arrêter devant telle façade entièrement en verre, frappé jusqu’au mois d’avril au moins par les images qui y sont collées, les unes plus anecdotiques que les autres, allant de Bibendum, de Ted Hyber à d’autres Hyber
-héros. Les noms qui désignent certaines des figures prennent leur sens par l’artiste qui lui a pris possession des espaces de la Fondation Cartier, de tous les espaces, rez-de-chaussée comme sous-sol, jusqu’au jardin qui entoure le bâtiment. Et comme toujours chez Fabrice Hybert, à l’époque de son exposition, en 1997, à la galerie Erna Hecey, son nom avait encore un « t » final, l’impression qui domine est celle d’une couleur verte, de fraîcheur resplendissante.
C’est loin d’être un hasard chez cet artiste, pour une exposition intitulée La Vallée, il s’agit de celle autour de l’ancienne ferme de ses parents, au cœur du bocage vendéen. Ses parents arrivant à la retraite, Fabrice Hyber n’a pas voulu que les pâturages de son enfance cèdent à leur tour à l’agriculture intensive, il a racheté les terres, et depuis les années 1990, y a fait pousser une forêt de plusieurs dizaines d’hectares, des arbres fde centaines d’essences différentes. En spécialiste qu’il est devenu, il sait que de la sorte on résiste mieux aux changements climatiques ; de même, nous apprend-il, il sème des graines, ça donne des arbres plus forts, alors que les forêts plantées s’avèrent plus fragiles.
Pour Fabrice Hyber, cette vallée, cette forêt, c’est beaucoup de choses à la fois, indispensables à l’homme, à l’artiste : terreau mental, source d’inspiration, lieu d’expérimentation. Et tout cela, passé maintenant dans l’art, dans une soixantaine de tableaux, de grand, voire de très grand format, panoramique, qui se déploient en autant de leçons de choses dans les salles de la Fondation Cartier, elles-mêmes transformées en salles de classe, d’école, avec des chaises et des bancs, bien mis en rangées. Des tableaux, contrairement à ceux qu’on connaît noirs, que les dessins ici rendent très vivants, auxquels la peinture à l’huile délayée donne une légèreté d’aquarelles.
Il est dans cet art de Fabrice Hyber comme une manière de s’assurer de son entreprise, après que les dessins lui ont également servi à tracer son chemin, tel qu’on peut le fixer dans des croquis ramassés dans un carnet. Seulement, cela a pris une tout autre allure. Peut-être que le souvenir a joué aussi des études de mathématiques avant de bifurquer vers l’art, et bien plus, depuis rien qui touche aux domaines de la vie n’est resté étranger à cet artiste.
De sorte que le visiteur se retrouve bouche bée, submergé par tant de richesse de thématiques, de connaissances. Au rez-de-chaussée, dans les salles de classe où l’on commence, et où il s’agit justement d’arbres, de forêts, l’élève est toujours à l’aise ; il risque de perdre un peu pied quand les sujets prennent de l’ampleur, incluant les migrations, la guerre, mais c’est le sourire aux lèvres qu’il entre dans la salle où il est averti que sa sensibilité pourrait être heurté par une sexualité délurée.
La matière s’élargit encore au sous-sol, et notre regard est appelé à se porter carrément sur la Terre entière ; Fabrice Hyber, décidément, en demande beaucoup à son effectif scolaire, encore une chance qu’il le fasse avec énormément d’enjouement. Et s’il entend dans telle peinture toute récente « réinventer la forêt », nous ne pouvons que le croire sur parole, et prendre plaisir à cette nature qui se met en place, ces troncs d’arbres qui se dressent, avec le savoir aussi de ce qui s’est fait en Vendée.