Au milieu des grosses machineries institutionnelles, entre le Tribunal et le Cercle des officiers érigé sur le site de l’ancienne abbaye Saint-Arnoul de Metz, une frêle échoppe à la façade bleue a pris place il y a tout juste deux années. Une installation faussement discrète dans le paysage en raison de son dynamisme particulier. Avec plus d’une dizaine d’expositions à son actif, la galerie Vis-à-vis a fait une entrée remarquée aussi bien dans la ville qu’en Grande région, où elle vient d’intégrer la dernière édition de la Luxembourg Art Week. Là, les grandes toiles acides de Mathieu Boisadan s’étendaient sur toute la superficie du stand intégré à la section Solo.
L’exposition Your own personnal Jesus qui était consacrée au peintre strasbourgeois vient à peine de se refermer qu’une autre lui succède, de groupe cette fois, intitulée Candy Crush. Rassemblant une dizaine d’artistes, certains noms du coin – Boisadan encore, mais aussi Emmanuelle Potier, Laurent Brunel – se mêlent à d’autres déjà bien ancrés dans l’histoire de l’art. Comme que le souhaite son directeur Bernardo Di Battista, les siècles s’entrechoquent sur les cimaises de la galerie messine. L’illustre et l’anonyme, le lointain et le proche y sont toujours convoqués. L’accrochage aussi se distingue de l’austérité linéaire si souvent répandue ailleurs. Ici, les supports et les techniques sont nombreux (céramique, dessins, gravures, peinture, sculptures), s’entremêlent indistinctement comme les genres qui y sont représentés (paysage, nature morte, portraits). De petits dessins et gravures peuvent entourer ainsi un tableau de plus grande dimension qui rappelle Bernardo Di Battista à ses origines italiennes. Ainsi de l’hommage à Giorgio Morandi rendu par cette nature morte aux entonnoirs de Hilario Isola, artiste turinois qui s’inspire des techniques de l’apiculture. Au-dessus de sa sculpture alvéolée, un petit Paysage de La Haye croqué par l’italophile Camille Corot cohabite à côté d’une vue imaginaire de Piranèse. À l’autre extrémité de l’accrochage chuchotent deux petits dessins de Salvo, autre artiste turinois issu quant à lui de l’Arte Povera. En face, un autre ensemble italien loge dans une petite niche du lieu et fait front au public. Au centre de la cimaise, une énigme peinte par Lucio Del Pezzo, qui a exposé dans les années 1950 au côté de Morandi, figure centrale et tutélaire de ce florilège italien. Autant dire que le contraste est plutôt réussi lorsque l’on considère l’environnement proche de cet ensemble qui en référait à une certaine tradition.
Les pilules commercialisées par Dana Wyse sont à l’image d’une société de consommation qui se sait malade et qui se soigne. Ses remèdes grinçants occupent tout un pan d’une cimaise, déployant leurs couleurs chimiques assorties de légendes caustiques du genre : « Make your Child Accept and Love your new Boyfriend » ou encore « Feel absolutely at Ease in a Gay Bar »... D’une joyeuse efficacité, et dont le caractère faussement absurde (mais en réalité profondément réflexif) fait écho à la machine à sous où l’on devine le portrait de John Hamon, dont le front porte l’inscription « Jackpot ». Sous l’influence des jeux de hasard et du surréalisme, l’artiste propose sur son site d’acquérir pour cinquante euros un ticket à gratter. L’un d’entre eux, tiré au sort, repartira avec une œuvre originale signée de l’artiste. Autre curiosité non dépourvue d’humour elle-aussi, les sculptures instables de Laurent Brunel : des émaux de Longwy qui revêtent des aspects différents en fonction d’où on les envisage. Mi visage, mi architecture, chaque pièce se déplace sous la mobilité du regard. On ne repartira pas avant de jeter un œil à la série dédiée au quotidien d’Emmanuelle Potier, qui chaque jour a réalisé un tableautin à partir d’une anecdote tirée de l’actualité. Ou encore aux gants obsessionnellement dessinés par Romain Cattenoz, ceux-là même qu’il emploie pour manier les œuvres de ses pairs. Un beau renversement opéré par celui qui fut longtemps monteur d’exposition.