Face à l’entrée de la galerie, deux personnages, un « couple royal », comme les appelle Jim Peiffer, accueille les visiteurs sur deux panneaux de bois, l’un vert, l’autre bleu ciel. Ce furent les portes d’une armoire. Au spray acrylique ocre et marron, leurs caractéristiques physiques et leurs attributs souverains sont ajoutés. Une couronne pour le personnage de gauche que l’on imagine masculin, une frisure crénelée pour celui de droite à la tête de tapir.
Nous voici dans l’univers de Jim Peiffer. Ou mieux, sur son pas-de-porte. Car si les panneaux s’ouvraient, on pourrait bien se diriger immédiatement vers la gauche et pénétrer dans une Stuff et une chambre à coucher. La pièce à vivre est cosy, la table centrée, ornée d’un bouquet de fleurs sous une lampe. Y est assis un personnage qui sirote un verre de vin. Les fenêtres ouvrent sur un paysage que l’on imagine être les collines de l’Oesling où vit Jim Peiffer.
Serait-ce chez lui et aurait-il « laissé au vestiaire », dans cette scène intimiste, les masques, peints au pastel, accrochés à un porte-manteau ? L’un, d’un guerrier grec, venu visiter peut-être les rêves nocturnes de l’habitant des lieux. Parce qu’entre les portes et la pièce à vivre, il y a une tête de lit dont Julie Reuter, la galeriste chez laquelle a lieu cette exposition monographique, nous a révélé qu’il s’agissait de son lit d’enfance… Où l’on retrouve un visage à tête humaine, exactement comme au porte-manteau de la Stuff et le faciès du tapir, point de départ de notre récit.
On peut ainsi continuer à chercher des explications rationnelles ou des liens avec l’histoire de l’art. Dans une publication parue après la première exposition monographique de Jim Peiffer chez Bernard Ceysson en 2019, celui-ci évoque Paul Klee (le coloriste), mais aussi Basquiat (le roi couronné), Hervé Di Rosa (la figuration libre), l’art africain et le street art, résumant selon nous avec le terme « mythographie », le mieux, l’art de celui qui peint depuis toujours. Né en 1987, diplômé en arts graphiques de La Cambre, il vit dans l’Oesling, non loin de ses parents et ses meilleurs soutiens sont ses oncles Philippe (qui l’avait présenté à Bernard Ceysson) et le photographe Christian Aschman.
Dans cette exposition monographique de Jim Peiffer à la Galerie Reuter Bausch, on retrouve aussi le pied du lit d’enfant. Le bois, également laqué de jaune, sert cette fois de support à un corps qui est celui d’une femme bien en chair, vue de dos. Ces peintures datent de 2022 et 2021. Comme un autre corps, (technique mixte sur toile), en demi-torsion cette fois, les jambes vues de profil et le buste de face, à la taille comme entourée d’un anneau de Saturne. Sur un troisième, format à l’horizontale, nous apparaît comme une déesse, Eve ou Lilith. La tentatrice ou la démone ?
Les personnages féminins de Jim Peiffer (le dernier date de 2019) n’ont rien d’angélique. Les portraits qu’on qualifiera de masculins, ont les yeux le plus souvent vides ou qui regardent de biais, rarement de face. Sauf un visage vert dans une acrylique à fond rose sur sac de toile en fibre synthétique. Une œuvre qui peut expliquer que Bernard Ceysson lui avait consacré une première exposition qui couvrait les années de 2013 à 2019, où l’on pouvait voir d’autres pièces identifiables comme faisant partie de la spécialité de sa galerie : le mouvement supports-surfaces. Aujourd’hui, Julie Reuter prend le relais dans sa jeune galerie, après avoir présenté Jim Peiffer en 2021 parmi la sélection d’artistes luxembourgeois au Prix d’Art Robert Schuman.
L’espace de la rue Notre-Dame est beaucoup plus modeste que la gigantesque halle au Wandhaff. Nonobstant, un bois contre-plaqué et des papiers travaillés au stylo bille, montrent l’univers de foules sans espaces interstitiels, sans blancs, que Jim Peiffer – on ose une interprétation – semble, dans une de ses propositions, rassembler sur une nef, prête à voguer comme une arche de Noé sur l’océan. Il nous laisse dans un étonnant espace urbain vide, bidimensionnel ; où un soleil rouge domine des gratte-ciel gris et une petite voiture d’enfant qui circule sur la voirie dans le bas du tableau. C’est un assemblage de bois, enchâssé encore une fois dans ce qui semble être un meuble familier. Il n’y a aucun personnage et c’est donc la pièce la plus étonnante de cette exposition.