Hors les murs du stand de la galerie Nosbaum Reding à la récente Art Week, voici les terres de Fatiha Zemmouri à voir et revoir rue Wiltheim, Hors-Sol. Il est difficile de donner un meilleur titre à ces « œuvres du renversement », comme le dit Maud Houssais dans le petit texte d’accompagnement. D’apparence consistantes et lourdes, elles sont en effet accrochées au mur.
Une partie des pièces de Hors-Sol ont été réalisées dans leur cadre, ce que l’on découvre en s’approchant tout près des œuvres aux rayures les plus fines. On est évidemment époustouflé devant les plus grandes, dont les striures sont de profonds sillons qui, au bord nu des œuvres, ondulent comme un paysage de dunes.
Fatiha Zemmouri est une magicienne de la terre. On plagie ici, volontairement, le titre d’une exposition vieille de plus de trente ans, où l’historien de l’art, conservateur et curateur Jean-Hubert-Martin, en 1989, avait exposé côte à côte des œuvres contemporaines de la culture occidentale et non-occidentale. Fatiha Zemmouri, artiste marocaine, l’est au sens où elle rompt les barrières entre les cultures d’Afrique du Nord et occidentale, comme elle le fait entre la pratique ancestrale du labour sans lequel il n’y a ni semence, ni croissance, ni récolte et le questionnement écologique contemporain.
L’utilisation d’une matière première « primaire », la terre crue est mélangée aux matériaux modernes la fibre de verre et le polystyrène, dira-t-on rapidement à propos de la fabrication de ses œuvres, qui du coup sont légères et oui, accrochées aux cimaises de la galerie, bluffant plus d’un visiteur : un énième « coup » de la magicienne, avant de revenir aux autres étapes de la fabrication. C’est le séchage au soleil qui a craquelé les parties planes des œuvres, en même temps qu’elles évoquent la sécheresse et le manque d’eau, soit les problématiques écologique et migratoire aux frontières aujourd’hui.
En nous intéressant au travail antérieur de Fatiha Zemmouri, née en 1966 au Maroc, on a découvert- qu’il est toujours basé sur un matériau premier. Ici dans Hors-Sol la terre crue et les pigments de couleur ocre, rouge, brune et noire. On citera, depuis les années 2013-2015, L’Œuvre au Noir et le bois brûlé, L’Œuvre au Blanc et l’argile clair. En 2018, une installation de végétaux in situ Habiter la Terre (toutes trois Comptoir des Mines Galerie, Marrakech). Celle-ci semble clore ce cycle « naturaliste », la sortir des purs intérêts esthétiques et la propulser hors du Maroc. Avec des papiers froissés, des cartes géographiques, elle semble attirer l’intérêt de l’Occident pour son passé colonial (Paper Borders et Zone Franche, Galerie Katharina Raab, Berlin, Institut des Cultures de l’Islam, Paris, 2020 et 2021). On citera encore au sujet du découpage aléatoire des pays d’Afrique du Nord, une œuvre, cette fois au sol, Distance Ardente, (Mrac, Sérignac, 2021), qui évoque le temps où l’Occident se partageait ses colonies comme on découpe des parts de gâteau.
Voilà pour les trois dernières années de l’évolution de son travail et revenons à la Galerie Nosbaum Reding et à la fascination qu’exerce sa dernière production, Hors-Sol. Fatiha Zemmouri a un savoir-faire manuel sous-tendu d’une réflexion intellectuelle si aboutie qu’elle déclenche avec la vision des plis et replis de ses terres un concentré d’histoire et d’actualité dans un apparent pur plaisir esthétique.