Seattle ne répond pas. Pas encore. Amazon.com, société de vente de produits d'entertainment essentiellement, ayant son siège à Seattle, USA, et des succursales - et sites Internet - aux États-Unis (.com), en Grande-Bretagne (.co.uk), en Allemagne (.de), en France (.fr), au Canada (.ca), au Japon (.co.jp) ainsi qu'un site pour le marché chinois (www.joyo.com), reste discrète sur ses plans pour son établissement au Luxembourg. Longtemps discuté dans les coulisses, le transfert de son siège européen au Grand-Duché a été confirmé par un communiqué très bref le 27 décembre dernier, selon lequel ces plans se concrétiseraient en 2005. Amazon.com y insiste sur la multitude de facteurs qui la font venir au Luxembourg : «Luxembourg's many attractive features, including its central European location, favourable business climate, and multi-lingual capabilities, will enable us to serve our European customers even more efficiently,» se réjouit Diego Piacentini, Senior Vice President d'Amazon.com dans ce communiqué. Ce qui rejoint le message officiel du gouvernement : ce ne sont pas que les avantages fiscaux qui font venir ces multinationales du commerce électronique au Luxembourg. Le taux de TVA le plus réduit en Europe est certes un argument de poids. Le Luxembourg a adopté un taux général de 15 pour cent. Selon la directive européenne sur le commerce électronique, soumettant les sociétés de vente par Internet à une imposition européenne, c'est la législation de l'État où le prestataire est établi qui est applicable à toutes ses activités. Donc ce taux de TVA extrêmement avantageux est un argument réel pour un établissement au Luxembourg. Mais le Grand-Duché n'est pas le seul pays à appliquer ce taux, Malte et la Chypre par exemple sont aussi à 15 pour cent. Donc il faut des arguments supplémentaires. Si seule la fiscalité comptait, les sociétés se limiteraient à des constructions juridiques du type Soparfi (société à participation financière). Or Jeannot Krecké (LSAP), ministre de l'Économie et du Commerce extérieur, insiste sur le fait qu'Amazon.com compte établir tout son management au Luxembourg. Donc une vraie société avec une vraie activité sur le terrain et quelques emplois de haute voltige à la clé. En mai 2003 avait déjà été fondé Amazon Services Europe Sàrl, une filiale de Amazon Int'l Marketplace, qui a son siège Boulevard royal, dédié à la vente aux enchères entre particuliers. Mais aujourd'hui, la société veut établir son siège principal pour l'Europe au Luxembourg, à partir duquel seront gérés les sites Internet européens. Impossible de savoir en ce moment à quel point des structures opérationnelles ou logistiques - comme le stockage et l'envoi des marchandises - vont suivre. Si le message politique officiel insiste sur une multitude de facteurs qui feraient venir ces multinationales du commerce électronique au Luxembourg - AOL, Microsoft et iTunes de Apple se sont établis au cours des trois dernières années -, leurs retombées ne sont pas à négliger dans les caisses de l'État. «La progression des recettes de TVA est spectaculaire,» note ainsi la Commission des finances et du budget de la Chambre des députés dans son rapport sur le budget de l'État pour 2005. La progression prévue de quelque 220 millions d'euros des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée entre 2004 et 2005 à 1 588 millions d'euros est ainsi due d'une part à la vente d'essence et de l'autre au commerce électronique. Michel Wolter, le président du groupe parlementaire du CSV, avait estimé les entrées fiscales dues au commerce électronique à 180 millions d'euros. AOL Europe étant la plus ancienne de ces sociétés ayant établi son siège européen au Luxembourg, une majeure partie de cette somme devrait provenir de ses activités. Or, les députés s'inquiètent en même temps de la volatilité du secteur : «Ces recettes pourraient s'avérer bien fragiles. En effet, le principe de l'imposition des prestataires dans le domaine du commerce électronique est fortement contesté à travers l'Union européenne, étant donné qu'il avantage les pays dont les taux de TVA sont les plus réduits.» Le Grand-Duché aurait donc tout intérêt à défendre ce principe d'une part, et de l'autre à multiplier les arguments pour une implantation au Luxembourg. C'est pour cela que, lorsque les ministres de l'Économie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké, et le ministre délégué aux Communications, Jean-Louis Schiltz (CSV) - accompagnés des hauts fonctionnaires qui constituent la task-force qui négocie les contrats, à savoir Gaston Reinesch, l'administrateur général du ministère des Finances, Georges Schmit, Premier conseiller de gouvernement au ministère de l'Économie et son homologue des Médias, Jean-Paul Zens - effectueront, le 23 janvier, une nouvelle visite de prospection économique très ciblée sur le secteur de la haute technologie aux États-Unis, l'argument du taux de TVA réduit ne constitue qu'un premier argument. Celui qui ouvre les portes en quelque sorte. Pour de telles occasions, le service des Médias a fait produire un petit film promotionnel valorisant tous les atouts du Luxembourg. «Je suis persuadé qu'il faut développer de multiples arguments pour lier ces sociétés à nous, estime Jeannot Krecké. Des chemins courts et directs, une administration rapide délivrant les autorisations nécessaires en un temps minimal, la sécurité des réseaux, la sécurité au travail, la paix sociale, la qualité de vie, le multilinguisme, mais aussi l'offre d'enseignement en anglais pour les internationaux sont autant d'arguments valorisants pour le Luxembourg.» Le secteur du commerce électronique serait, selon le ministre, une des dernières niches de souveraineté du Luxembourg dans une Europe harmonisée. Immatériel, il est pourtant en même temps aussi timide que fragile. Les enseignes des multinationales des communications présentes au Luxembourg sont certes une publicité solide, une sorte de signal d'appel - RTL Group, SES et, plus récemment, AOL, Microsoft, Apple -, dont on espère un effet boule de neige. Mais en même temps, un bureau et quelques serveurs informatiques peuvent être très vite déménagés. En plus, les entreprises de commerce électronique rapportent certes d'importants revenus fiscaux à l'État, mais le nombre d'emplois qu'ils créent est inversement proportionnel. Ainsi, AOL Europe, qui vient de s'installer dans le nouveau bâtiment Plaza boulevard Grande-Duchesse Charlotte, gère quelque six millions d'utilisateurs européens avec une trentaine d'employés seulement. Le gouvernement veut développer une politique de clusters ou grappes, multipliant les petites entreprises à haute technicité et faible besoin en main d'oeuvre afin de sécuriser le secteur. Selon cette stratégie, si l'une d'elle disparaissait, les dégâts resteraient limités. Encore faudrait-il rapprocher les demandeurs d'emploi locaux de cette offre, en orientant mieux, en développant aussi les formations spécialisées à l'Université du Luxembourg. Lors d'une entrevue avec les ministres Jean-Louis Schiltz et Claude Wiseler (Fonction publique, Réforme administrative, eLëtzebuerg ; CSV), la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) s'est félicitée «que la politique de développement exogène du Luxembourg, liée à l'investissement direct étranger, comprend des activités du monde des TIC» (Écho de l'industrie, décembre 2004). Cependant, elle constate en même temps que des faiblesses demeurent et invite les «responsables politiques à définir, d'une part, une stratégie encore plus cohérente (législation, R[&]D publique, infrastructures) en faveur de l'implantation au Luxembourg de nouveaux secteurs d'activités comme vecteur de croissance et de diversification et, d'autre part, sa déclinaison explicite par une organisation adaptée à cette stratégie des acteurs au sein de l'État et de l'Économie». Car, «concernant le développement endogène, le Luxembourg pourrait se doter d'instruments plus ambitieux dans le domaine de la politique d'innovation». En effet, il est flagrant que, d'un côté, le Luxembourg tente de se faire une image en tant que centre européen d'excellence à haute technicité dans les secteurs de pointe en accueillant des multinationales leaders du domaine du commerce électronique, et que, de l'autre, le développement d'eGovernment par exemple traîne faute notamment d'une signature électronique sécurisée (PKI, public key infrastructure). Quand Jeannot Krecké était encore dans l'opposition, il ne se lassait pas de montrer du doigt la dernière place du Luxembourg dans les benchmarkings internationaux. Après les difficultés au sein du Groupement d'intérêts économique LuxTrust, qui fut chargé de développer le système, le ministère de l'Économie est aujourd'hui prêt à créer une société anonyme dans laquelle l'État détiendrait soixante pour cent. «Nous pourrions être leader européen dans ce domaine, avec une même PKI pour toutes les relations business to business, business to government, business to consumer, government to consumer,» ajoute Jeannot Krecké. Mais l'État ne veut pas se lancer seul, il tient à ce que le privé collabore pour la mise en place d'un système unique. Il attend l'accord de quelques grandes banques notamment, qui toutefois semblent hésiter et préférer la mise en place de leur propre système de sécurité. Le portail www.entreprises.lu annonce que la PKI pourrait être opérationnelle d'ici la fin de l'année.