La carte des menus est prête. Mercredi, Wim Kok, l’ancien Premier ministre néerlandais, a remis le rapport de son « groupe de haut niveau » sur le bilan de quatre années de « stratégie de Lisbonne ». En mars prochain, il reviendra aux chefs de gouvernement européens, sous présidence luxembourgeoise, de tirer leur propres conclusions à mi-chemin d’un projet qui, en 2000, promettait de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » d’ici 2010.
Ils auront du pain sur la planche. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le groupe Kok n’a pas mâché ses mots. « Nous avons identifié les problèmes et disons sans détours qu’il n’y a pas grand chose qui ait été réalisé jusqu’ici, » résume Romain Bausch. Le directeur général de l’opérateur de satellites SES Global était un des treize membres du groupe Kok, qui rassemblait hommes d’affaires, syndicalistes et chercheurs. Même si certains angles ont encore été arrondis avant la publication du rapport final, Wim Kok et les siens se montrent plutôt directs et concrets en comparaison à d’autres exercices du même genre.
« De nombreux États membres n’ont pas pris assez au sérieux l’exécution et la concrétisation des mesures convenues, » concluent-ils. « Lisbonne traite de tout, et donc de rien. » « D’aucuns ont le sentiment que le programme du marché intérieur est une affaire du passé, et il ne bénéficie pas du degré de priorité qu’il mérite. » « Malheureusement, les progrès accomplis à ce jour sont insuffisants, et ce en grande partie faute d’engagement et de volonté politique. » « La progression de la stratégie de Lisbonne a souffert d’un manque de cohérence et de compatibilité, tant entre les participants qu’entre les politiques. » On vous souhaite une agréable lecture, Mesdames et Messieurs les Ministres !
La présidence luxembourgeoise au premier semestre 2005 était jusqu’ici supposée faire un bilan de mi-chemin de Lisbonne (d’Land 43/04). Le groupe de Wim Kok projette une vision différente. Il propose de passer à l’action – maintenant ! « Ça ne fait pas de sens de recommencer une nouvelle fois à discuter, explique Romain Bausch. Nous avons perdu assez de temps. »
Pour la première fois depuis plusieurs décennies, la productivité de la main-d’œuvre de l’UE progresse moins vite que celle des États-Unis, relève le rapport. Les investissements par salarié ont baissé et le rythme des avancées technologies s’est ralenti, alors que jusqu’à 40 pour cent de la croissance de la productivité de la main-d’œuvre sont générés par des dépenses de R[&]D. Les Européens travaillent en même temps de moins en moins d’heures. Et ce alors que la population est en train de vieillir, population qui d’ici 2020 diminuera d’ailleurs.
Soutenant la stratégie de Lisbonne et refusant de remettre en cause l’objectif 2010, Wim Kok appelle donc à l’action. Il rappelle toutes les bonnes résolutions prises depuis dix ans par les chefs de gouvernement : de la transposition plus rapide des directives européennes relatives au marché unique, en passant par l’ambitieux projet d’eGovernment, jusqu’à la réduction des charges administratives qui pèsent sur les PME. Le rapport rappelle aussi l’incapacité des États membres à se mettre d’accord sur un brevet unique en Europe. Une discussion qui dure depuis... trente ans. Pour tous ces projets laissés en rade, Kok propose de fixer de nouveaux délais, dont aucun ne se situe au-delà de 2006 et certains déjà au printemps 2005. « Les délais fixés sont ambitieux, » reconnaît Romain Bausch. Pour ceux qui traînent, le groupe appelle la Commission à recourir sans retenue aucune au « name and shame ». Sous l’intitulé « Faire fonctionner Lisbonne », Wim Kok adresse aussi des recommandations précises à la présidence luxembourgeoise. « La condition préalable à la réussite réside dans une plus grande responsabilité politique, » souligne le rapport. Il incombe donc au sommet de mars 2005 de « redynamiser la stratégie de Lisbonne ».
L’ordre du jour qui s’annonce pour le gouvernement de Jean-Claude Juncker rappelle ainsi celui de la dernière présidence, en 1997. L’Union inaugurait alors, avec le « processus de Luxembourg » sur l’emploi, toute une série d’initiatives qui essayaient de situer les grands défis de la politique économique dans le contexte européen. À côté de Lisbonne – concentré sur l’innovation – l’UE continue ainsi à actualiser régulièrement les « lignes directrices pour l’emploi » et, dans le cadre de l’euro, se donne des « grandes orientations de politique économique » (Gope).
Force est toutefois de constater que la dynamique lancée par de telles initiatives s’essouffle rapidement. On se rappelle certes du grand exercice qu’était au Grand-Duché, en 1998 et 1999, l’établissement du premier « plan d’action national » (Pan) dans le cadre des lignes directrices pour l’emploi. Par après, les partenaires sociaux et le gouvernement se sont certes encore mis d’accord sur des actualisations du Pan, mais cela s’est dégradé à un exercice tripartite parmi d’autres. L’exercice des Gope pour sa part, n’a jamais atteint la moindre notoriété.
La stratégie de Lisbonne reprend certains éléments de ces initiatives et en ajoute d’autres. Elle donne surtout l’impression que par pur activisme, les chefs de gouvernement ont plus de talents pour lancer tous les quatre ou cinq ans un nouveau « processus » que pour les remplir de vie par après. La multiplication de ces exercices pose en même temps la question s’ils n’en demandent pas plus à l’Union européenne qu’elle ne peut accomplir, avec des pouvoirs limités à une simple « coordination » de matières comme le droit du travail et la sécurité sociale, les politiques économiques et les budgets de recherche, par exemple.
« La méthode ouverte de coordination n’a pas tenu ses promesses, loin s’en faut, constate le groupe Kok. Si les États membres ne jouent pas le jeu de comparer leurs performances, rien ou presque ne peut avancer. » Il reviendra dès lors à la présidence luxembourgeoise de redéfinir ces procédures. Wim Kok propose en premier lieu de concentrer Lisbonne sur « la croissance et l’emploi ». Il soutient aussi la décision du printemps dernier d’abandonner la longue liste de plus de cent indicateurs pour comparer les États membres afin de se concentrer sur un nombre restreint de quatorze thermomètres. Pour ceux-là, il faudrait par contre augmenter la pression en publiant régulièrement des listes avec et les résultats absolus et les progrès réalisés.
« Un des problèmes est l’absence de coordination entre les différentes stratégies, estime Romain Bausch. Ce que nous proposons est d’établir un seul plan d’action national, qui englobe les trois aspects. » En 1997, c’est cet exercice d’unification qui avait réussi à l’« homme orchestre » Jean-Claude Juncker lors de la définition des lignes directrices pour l’emploi.1 Premier ministre, mi