Abracadabra, c’est fait : trois mois après l’échéance du 13 juin, le (nouveau) gouvernement a découvert la reprise économique. Bien que toujours sur ses gardes, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a détecté pour la première fois depuis deux, trois ans des signes d’une détente de la situation économique. Son ministre du Budget, Luc Frieden, estime par sa part qu’il y a une « évolution positive de la place financière ». D’une part, deux banques vont échanger les étiquettes sur leurs sonnettes (une succursale devient une s.a. alors qu’une s.a. bien implantée s’adjoint une succursale). D’autre part, il y a eu entre avril et juin, pour la première fois depuis 2002, une légère croissance de l’emploi auprès des instituts financiers. 85 emplois ont été créés. À se demander où sont passés ces « temps difficiles » et ces « ceintures serrées » promis par le CSV et exigeant impérativement, en juin, qu’on choisisse « de séchere Wee ». Le gouvernement n’est pas seul à laisser la place à l’optimisme. Les Luxembourgeois semblent en avoir assez de se plaindre à longueur de journée. L’indicateur de confiance de la Banque centrale du Luxembourg (BCL) a ainsi connu en juin dernier la plus forte hausse depuis sa création. Bénéficiant d’une appréciation plus positive des perspectives pour l’économie en général et le chômage en particulier, l’indicateur est passé d’un à cinq points, un niveau qui ne fut plus atteint depuis octobre 2002 et le fameux communiqué du Statec annonçant le coup d’arrêt net marqué il y a trois ans par la croissance locale. Depuis janvier 2002, l’indicateur a connu son niveau le plus haut à plus quatorze points et le plus bas à moins cinq points. À la lecture des derniers chiffres, le DP doit bien s’interroger. Avec des élections en juillet plutôt qu’en juin, il serait peut-être encore au pouvoir. Ou bien, autre explication, son éviction du banc gouvernemental a permis à tout un pays de regagner l’espoir. Sauf si, en fait, c’est surtout l’idée d’être débarrassé pendant trois mois de tout gouvernement – d’abord il y a eu « la gestion des affaires courantes », ensuite les vacances d’août – qui a tellement rassuré les consommateurs au Grand-Duché. Les premières nouvelles rassurantes sur la conjoncture datent en effet de mai dernier. Le Statec avait alors révisé à la hausse ses prévisions de croissance du PIB : 2,5 pour cent en 2004 contre les 2,0 pour cent prévus en automne 2003 encore. Pour 2005, l’office prédisait 3,5 plutôt que 3,0 pour cent. Il rejoignait ainsi les vues plus favorables exprimées déjà auparavant par plusieurs organisations internationales, tant pour le Luxembourg que pour l’économie internationale. L’optimisme ambiant n’a cependant tenu que quelques mois. Au plus tard avec la flambée du cours du pétrole au mois d’août (d’Land 35/04), les incertitudes faisaient leur retour. Et même si le baril de brut est retombé à des niveaux plus raisonnables, après ses pics autour des 50 dollars, il reste cher à quelque 40 dollars. En parallèle, l’indicateur de confiance des consommateurs a baissé de cinq points en juillet à quatre points en août. Sensibles, les Luxembourgeois. Pourtant, l’explosion du prix du brut pourrait leur valoir un joli cadeau. Un cadeau qui, pour Jeannot Krecké, le ministre de l’Économie, se révélerait empoisonné. La relance de l’inflation devrait en effet provoquer encore cette année une tranche indiciaire, et donc une augmentation de tous les salaires de 2,5 pour cent. En mai déjà, le Statec avait annoncé que le couperet tomberait dès décembre et non, comme espéré au début de l’année, qu’en 2005. L’office statistique prévenait en plus que l’indexation avancerait de deux mois si le prix du baril de Brent se maintenait à un niveau de 40 dollars pour le reste de l’année, une hypothèse qui se confirme. La tranche d’index pourrait donc devenir effective dès le mois prochain, en octobre. Pour une économie en convalescence, il y a de meilleures nouvelles. La compétitivité luxembourgeoise n’est guère telle qu’elle pourrait encaisser sans problèmes de telles augmentations de ses coûts. Jeannot Krecké peut déjà préparer son argumentaire contre une exclusion des produits de pétrole de la corbeille de l’index. Les revendications du patronat ne se feront pas attendre. Car fondamentalement, l’économie luxembourgeoise a perdu beaucoup de sa superbe depuis l’année 2000. Selon le rapport 2003 sur la compétitivité,1 le Luxembourg continue à perdre ses avantages compétitifs accumulés entre 1990 et 1998. Après une phase de stabilisation, en comparaison avec les pays voisins, la compétitivité se détériore depuis 2001. L’industrie se maintient plutôt bien grâce aux gains de productivité. Ce sont surtout les services qui sont concernés. Les marges souffrent cependant dans les deux secteurs. D’un point de vue plus conjoncturel, les dernières nouvelles sont néanmoins rassurantes. L’activité industrielle connaît une tendance ascendante depuis le début de l’année à laquelle s’ajoutent les effets bénéfiques de la hausse des prix de vente de l’acier. Les perspectives pour les mois à venir restent d’ailleurs « excellentes », selon le dernier Conjoncture Flash du Statec. Le secteur de la construction se porte de même à merveille, bien qu’il y ait de fortes divergences entre le bâtiment, en pleine forme, et le génie civil, qui stagne à bas niveau. Sur la place financière, l’évolution des bourses était de bonne augure au début de l’année, mais l’enthousiasme a de nouveau disparu. Pour le prochain coup d’œil dans la boule de crystal du Statec, il faudra patienter encore un mois. Mais même si les statisticiens revoyaient la croissance une nouvelle fois à la hausse, le nouveau gouvernement n’aurait pas trop de raisons de fêter. Une première raison est le chômage. Bien que la Commission européenne, aussi bien que le Statec, l’OCDE et le FMI, prédisent une accélération de la croissance en 2005, ils annoncent en même temps une augmentation ininterrompue du chômage au Luxembourg. Corrigé de variations saisonnière, le taux de chômage s’élève actuellement à 4,2 pour cent, après une hausse continue depuis près de quatre ans. Et rien n’indique que les demandeurs d’emploi disparaîtront tout seuls. Un deuxième élément qui pimentera la rentrée concerne le budget de l’État, ou plutôt le côté recettes. Une relance conjoncturelle, si elle se confirmait, ne se retrouvera pas de si vite dans les comptes de l’État. D’abord faudra-t-il que les bénéfices des entreprises augmentent à nouveau et ensuite qu’elles versent en effet son dû à l’Administration des contributions. En attendant, deux années de vaches maigres risquent bien de passer encore. Mais peut-être que l’Europe sauvera le budget luxembourgeois. Grâce à une directive, Luc Frieden empoche des tantièmes à la vente de chaque chanson sur le site iTunes Europe d’Apple. Sans oublier une autre directive, celle sur la fiscalité de l’épargne. Longtemps combattue par le Luxembourg, elle procurera à partir de juillet à l’État un quart des impôts dûs sur les intérêts encaissés par les fameux « dentistes belges » au Luxembourg. Parfois, l’Europe c’est quand même bien.
1 Cahier CREA-Université du Luxembourg-Statec n° 96, Compétitivité de l’économie luxembourgeoise, Rapport 2003, août 2004 (www.statec.lu)