Tous les deux, ils auront eu besoin de la dernière semaine. Aussi bien le ministre de l’Économie, Henri Grethen (DP), que celui des Classes moyennes, Fernand Boden (CSV), avaient un dernier projet de loi à faire passer avant la fin de la législature. Le premier a fait voter mercredi des modifications de sa propre loi sur le commerce électronique adoptée en 2000 seulement. En fait, faute d’avancées décisives du projet Luxtrust et donc en l’absence de signatures électroniques, ce second texte ne trouvera pas davantage d’applications que le premier. Fernand Boden espère pour sa part faire adopter ce vendredi midi la réforme du droit d’établissement. Un texte qui fut pourtant annoncé dès 1999 comme une priorité. Il en était de même avec la nouvelle loi-cadre réglementant les subventions aux classes moyennes, adoptée seulement la semaine dernière. À trois semaines des élections, c’est l’heure du bilan pour la politique économique du gouvernement CSV-DP et de ses protagonistes. Lundi prochain, le Statec devrait annoncer juste à temps une reprise conjoncturelle. Cela ne changera rien au fait que les administrés des ministres Grethen et Boden ne ratent pas une occasion pour faire part de leur mécontentement sur la manière dont le pays est géré, que ce soit par la voix du président de la Fédération des industriels ou celle du président de la Chambre des métiers. Ce dernier, Paul Reckinger, constatait récemment que les charges administratives qui pèsent sur les plus petites entreprises artisanales avaient augmenté de 57 pour cent depuis 1999. Le gouvernement avait en fait promis de les baisser. Les organisations patronales n’étaient guère plus contentes de constater que le premier réflexe du gouvernement dans la lutte contre les faillites fut d’augmenter simplement le capital social minimum. Adieu, l’esprit d’entreprise. Le projet de loi n’a d’ailleurs plus passé le parlement en cette législature. Ce retrait est typique pour Fernand Boden, qui fait tout pour éviter de se faire des ennemis. Plein de bonne volonté, il n’ira toujours que jusqu’au point ou tous les concernés sont prêts à le suivre. S’il y a conflit, le ministre ne se sent plus concerné. Un joueur de tennis de table, qui mise tout sur la défense, commentent ses opposants politiques. Les impulsions politiques dans le ministère doivent ainsi plus à des directives européennes qu’aux convictions du ministre. L’inaction crée moins de mécontents qu’un projet controversé, semble être la devise de Fernand Boden qui dirige, il est vrai, un ministère aux moyens particulièrement limités de par sa taille. Fernand Boden, le ministre éternel, semble voir sa meilleure chance de passer bien dans le fait de passer inaperçu. C’est un reproche qu’on aurait tort d’adresser à Henri Grethen. C’est le résultat des man-œuvres qui laisse souvent perplexe. Qu’il faille se réjouir des côtés positifs de la restructuration chez Arcelor plutôt que se plaindre des coupes claires dans l’emploi, n’est que la dernière des déclarations fracassantes du ministre de l’Économie. Elle lui a au moins valu autant d’amis que celle, en 2002, qui voulait que la place financière soit un « destructeur de croissance ». Le repli conjoncturel aidant, l’opposition avait vite identifié Henri Grethen comme un maillon faible de la chaîne gouvernementale. Son ignorance avouée devant la presse du contenu du communiqué de presse du Statec révisant en octobre 2002 la croissance 2001 de 5,1 à un pour cent – le ministre n’était plus passé au bureau avant d’entrer le matin en Conseil des ministres européen – n’a rien fait pour renforcer sa position. On a tout essayé pour le déstabiliser. Il aurait relâché les rênes, était le reproche. La traditionnelle politique de diversification politique aurait été abandonnée. Or, le reproche est tellement tarte à la crème qu’on peut le classer parmi les faux procès. Il y a deux semaines, à l’occasion de l’ouverture de la Foire de printemps, c’était au tour de Henri Grethen lui-même de tirer le bilan de son mandat. Il a certes énuméré beaucoup de points, mais force est de constater que les impulsions propres au ministère de l’Économie étaient rares. C’est certes liés au fait que la politique économique ne peut être limitée à un seul domaine. Cela s’explique aussi par le fait que Henri Grethen n’a jamais vraiment réussi à englober ses initiatives ponctuelles dans une stratégie plus large. Le ministre de l’Économie s’approchait peut-être le plus de la définition d’une « doctrine Grethen » dans sa réplique aux débats sur l’état de la Nation, il y a quelques semaines. Fidèle à sa décision de classer le nouveau train moyen d’Arcelor à Esch-Belval comme succès de sa politique de diversification, il y rappelait l’accent particulier qu’il a mis pendant son mandat sur le développement économique endogène. Dès son premier discours d’ouverture d’une Foire, en automne 1999, Grethen avait annoncé qu’il voulait miser « sur les traditions industrielles bien ancrées et l’expertise technologique existante ». C’est dans cette même logique qu’il a promu le programme « cluster », visant à regrouper des entreprises de secteurs différents mais avec des intérêts partagés dans des projets de R[&]D communs. Il faut voir dans le même contexte les démarches volontaristes du ministre de s’intéresser non pas seulement à d’éventuels nouveaux investisseurs lors de ses déplacements à l’étranger, mais de soigner avec la même énergie les relations avec les grands patrons de Goodyear, DuPont de Nemours et autres Husky. Lors de son (provisoirement) dernier discours d’ouverture d’une Foire, Henri Grethen a vu l’avenir du Grand-Duché dans une « économie du savoir ». C’est dommage qu’il ait « d’autres chats à fouetter que de [s]’occuper de rapports de la Commission européenne », encore une fameuse citation du ministre, sinon il serait venu à cette conclusion il y a dix ans. Comme son collègue Luc Frieden (CSV), en charge de la place financière, il mise maintenant sur l’Université du Luxembourg. Seulement dommage qu’ils étaient tous les deux opposés à cette idée. L’université doit son existence à la seule détermination d’Erna Hennicot-Schoepges (CSV), qui l’a imposée contre vents – l’ensemble du gouvernement – et marées. Henri Grethen, était-il un ministre de l’Économie libéral ? Dans les grandes lignes certes, mais c'était au moins autant le cas pour le socialiste Robert Goebbels, que d’aucuns disent même plus libéral encore. Dans le détail, c’est une autre histoire. Dans l’accord de coalition de 1999, le DP avait encore inscrit une « restructuration » de l’Entreprise des P[&]T. En tant que ministre, Henri Grethen s’est pourtant révélé un formidable défenseur de l’entreprise publique. Dans ses relations avec les entreprises dans lesquelles l’État détient des participations – les cas les plus notoires sont Luxair et Cargolux –, Henri Grethen se comportait de même davantage en « capitaliste étatique » qu’en libre-échangiste. « Le plus grand défi consiste à gérer le succès, » citait Henri Grethen le FMI en 1999. La mission s’est finalement révélée plus périlleuse. Le principal reproche adressé aujourd’hui au gouvernement CSV-DP de la part du secteur privé concerne l’oubli que la richesse du pays est avant tout générée par les entreprises. Qu’il s’agisse d’industries ou de PME, les administrés de Henri Grethen et Fernand Boden s’attendaient pas seulement à ce que les ministres rédigent des lois qui leurs conviennent mais aussi, et peut-être davantage, qu’ils soient les porte-parole de leurs soucis et intérêts au sein du gouvernement. Et sur ce plan, les concernés se disent aujourd’hui déçu. « Nous voulons un ministre des Classes moyennes à temps plein, pas quelqu’un qui occupe deux tiers de son temps avec l’agriculture, » peut-on entendre à l’adresse de Fernand Boden. Et si les reproches relatifs à l’irrésistible attrait de la fonction publique en général et au généreux accord salarial en particulier ne s’adressent pas directement au ministre de l’Économie Henri Grethen, ils s’adressent au moins à Grethen le stratège électoral du DP.
Romain Hilgert
Catégories: Législatives 2004
Édition: 20.05.2004