Lucien Weiler doit sortir les marrons du feu. Lorsque la proposition de loi n°5317 «ayant pour objet de modifier et de compléter la loi électorale modifiée du 18 février 2003» du président du groupe parlementaire CSV sera soumise, prévisiblement jeudi prochain, au vote de l'assemblée plénière de la Chambre des députés, cela se fera assez discrètement. Car contrairement à la grande majorité des propositions de loi que des députés, souvent membres de l'opposition parlementaire, déposent encore en période préélectorale pour se positionner sur un sujet politique, ce texte-ci émane du chef de la majorité parlementaire. Et sert à «redresser des erreurs matérielles qui se sont glissées dans les dispositions de la loi électorale du 18 février», erreurs qui seraient dues notamment «aux aléas du traitement de texte».
Certes, il ne s'agit que d'adaptations ponctuelles, comme la désignation des présidents de bureaux de vote, elles ne remplissent «que» deux pages A4. Néanmoins le Conseil d'État, dans son avis du 27 avril, fait remarquer une nouvelle fois que la loi électorale a été bâclée («la hâte dans laquelle elle a été conçue»). Et de renvoyer à son avis de décembre dernier sur un projet de loi portant sur quelque 25 modifications de la loi électorale déjà. À l'époque, le Conseil d'État avait fait remarquer que : «La lecture de ces modifications permet de constater que la loi de février dernier n'aurait pas réussi l'épreuve du feu des élections de juin 2004,» et que «les auteurs du projet de loi (...) n'ont pas suffisamment pris en compte la complexité de la matière abordée». La deuxième vague d'adaptations doit encore impérativement passer le parlement avant les élections du 13 juin.
«Ce n'est plus sérieux !» s'offusque Jeannot Krecké, président du groupe parlementaire socialiste, le plus grand parti d'opposition à la Chambre des députés. «Dans ces conditions de travail-là, il est tout à fait normal que les lois votées soient mauvaises,» renchérit son homologue des Verts, François Bausch. Les deux hommes veulent s'ériger ensemble contre la manière dont la majorité parlementaire exauce actuellement à la va-vite les voeux du gouvernement.
Or, en principe, le parlement en tant que représentant du peuple, est souverain, alors que le gouvernement n'est que l'exécuteur des textes élaborés par les députés - avec l'aide des fonctionnaires des ministères et après échange d'avis avec les chambres professionnelles et autres représentants de la société civile. La conférence des présidents fixe, en temps normal dans le consensus entre tous les chefs de groupes politiques, l'ordre du jour des séances publiques. Mais depuis quelques semaines, il y a panique à bord : chaque président de groupe disposant d'autant de votes que sa fraction compte de députés, il est clair que Lucien Weiler (CSV, vingt sièges) et Jean-Paul Rippinger (DP, quatorze sièges) peuvent quasiment régner seuls sur l'organisation.
C'est ce qu'ils font actuellement, sur la dernière ligne droite avant les élections législatives. Ce qui agace le plus l'opposition, c'est qu'elle estime que le parlement est actuellement à la merci du gouvernement. Le conseil de gouvernement a fixé vendredi dernier la liste des priorités politiques, les projets de loi que les ministres aimeraient bien voir adoptés avant juin : celui sur le blanchiment, le revenu minimum garanti (voté mercredi), l'organisation de la protection civile (adoptée jeudi, matin), le commerce électronique, le développement durable, le partenariat, la réorganisation du Service de renseignements, celui sur les Sociétés d'investissement en capital risque (Sicar), la réorganisation du Conseil économique et social. Plus, éventuellement, celui sur les soins palliatifs et l'accompagnement en fin de vie - mais celui-là seulement si le débat peut encore se tenir sereinement, précisait le Premier ministre vendredi.
Suite à cette réunion, François Biltgen (CSV), ministre aux relations avec le parlement a envoyé le 4 mai une lettre au président de la Chambre des députés, Jean Spautz, dans laquelle il lui soumet «une proposition d'ordre du jour» pour les deux semaines à venir. Le ministre y énumère quelque 25 projets de loi et débats à tenir, avec les dates parfois approximatives, parfois exactes, de leur évacuation souhaitée : le partenariat mercredi 12, le même jour que les Sicar et l'organisation des lycées et lycées techniques ; la loi sur la liberté d'expression dans les médias le 13, le même jour que l'aménagement communal, les soins palliatifs entre le 11 et le 21 mai, durant cette dernière semaine devront encore passer des projets gigantesques comme le blanchiment, les relations collectives de travail, le Service de renseignements, les transports publics... Certains grands projets ont été discutés durant plusieurs années, d'autres sortent de nulle part, ils sont présentés et le projet de rapport adopté dans une même réunion de la commission parlementaire en charge du dossier.
«Nous ne sommes plus qu'une machine à adopter des lois,» estime Jeannot Krecké. Qui, forcément conscient des rapports de force, se sent pieds et poings liés, dans l'impossibilité de contribuer au débat ou d'influencer un tant soit peu une loi. «Plus personne n'a le temps de lire les dossiers, les députés ne connaissent plus le contenu des textes, les propositions de loi de l'opposition sur un sujet ne sont même plus mises à l'ordre du jour, les chambres professionnelles et la société civile ne sont plus entendues.... » Rien que cette semaine, l'ordre du jour des séances publiques prévoyait 19 votes de projets de loi, plus un débat de consultation sur la mobilophonie. Deux séances furent ajoutées au programme normal, mercredi et jeudi matin, il est maintenant même question de prolonger la session de quelques jours, au moins le 21 mai encore (un vendredi). Pour préparer le travail des séances plénières, des commissions parlementaires sont réunies à la hâte, invitations, modifications, annulations se suivent à un rythme endiablé dans les boîtes aux lettres électroniques des députés. Qui trouvent cette panique de moins en moins drôle, parce que d'une part, ils sont obligés de bâcler leur travail, et de l'autre sont de plus en plus pris par la campagne électorale, qui demande un investissement et une disponibilité énormes.
«On dirait que certains ministres sont persuadés qu'ils vivent leurs dernières semaines à ce poste,» ironise François Bausch. Qui n'a pas souvenir d'une telle pression à la fin des législatures précédentes. Certes, avant chaque échéance législative, les majorités politiques aiment encore marquer de leur sceau une époque. Mais le travail bâclé n'est pas vraiment un gage de démocratie, on ne peut plus y faire de la politique. Certes, toutes les lois (bonnes ou mauvaises) ainsi adoptées ne sont pas forcément réalisées, à la majorité suivante de les accepter ou non - le Rehazenter et la Rockhal en sont deux exemples marquants de 1999. Néanmoins, on en garde une impression de gâchis.