L'accord est unanime, des partis au gouvernement, en passant par les syndicats et les organisations patronales jusqu'aux partis d'opposition. Même les écologistes ne s'y opposent pas : le Luxembourg doit diversifier son économie. Ce credo est répété inlassablement depuis trente ans ; parfois un peu moins fort, comme pendant le boom de la fin des années 90 ; parfois un peu plus fort, comme depuis deux ans suite au ralentissement économique.
Ce qui peut étonner, c'est l'absence d'approfondissement du concept. Comme s'il n'y avait rien à ajouter, comme si c'était une véritable panacée. On assiste tout au plus à une adaptation de l'idée : face au manque de main-d'uvre, Robert Goebbels, ministre de l'Économie de 1989 à 1999, expliquait qu'on recherchait davantage des entreprises de taille moyenne, avec seulement vingt à cinquante emplois. Henri Grethen, ministre de l'Économie depuis 1999, parle lui d'activités à haute valeur ajoutée qui seraient à privilégier.
Le concept de diversification de l'économie est pourtant loin d'être à l'abri de toute critique, même si ses effets bénéfiques sont indéniables. Plutôt qu'un développement endogène, il décrit surtout une politique de recherche d'investissements de l'étranger, ce qui ne permet pas vraiment de créer des centres de décision au Luxembourg. Une trop grande diversité des entreprises s'oppose en même temps à la constitution de véritables pôles de compétences par le rassemblement de plusieurs entreprises actives dans un même domaine, fournies en main-d'uvre qualifiée par des lycées spécialisés et soutenues par la recherche publique. En résumé : on peut s'étonner que dans aucun discours ou document de réflexion sur le développement économique, le concept de diversification de l'économie ne soit confronté à celui de masse critique d'un secteur.
La politique de diversification trouve son origine dans le Nord du pays, à Wiltz. Avec la disparition de l'industrie du cuir en général et la fermeture de l'usine Ideal en particulier, le gouvernement reconnaissait vers la fin des années 50 une première fois le besoin d'une politique active d'industrialisation du pays. Mais ce n'était encore qu'un phénomène régional alors que la sidérurgie dans le Sud représentait à elle seule plus de quarante pour cent du PIB luxembourgeois.
Le Board of Industrial Development naîtra ainsi en 1959 avec la mission d'attirer de nouvelles industries dans le Nord du pays. Il pourra s'appuyer à partir de 1962 sur les dispositions de la loi-cadre d'expansion économique qui permet une première fois au gouvernement d'accorder outre des crédits d'impôts aussi des subventions directes aux nouvelles industries prêtes à s'installer au Grand-Duché.
Les démarches des pouvoirs publics n'étaient pourtant pas universellement appréciées. Dans les années 50 encore, la Fédération des industriels s'opposait à l'idée d'attirer de nouvelles entreprises en leur attribuant des subsides.
Par après, l'essoufflement de la sidérurgie, qui restait dominante mais ne connaissait plus les mêmes taux de croissance qu'auparavant, avait rendu la nécessité d'une politique de diversification industrielle plus large évidente. Elle sera poursuivie de manière active jusqu'en 1970 avant de marquer le pas. Face à la pénurie de la main-d'uvre due au plein emploi assuré par les forges du Sud et la surchauffe générale de l'économie, ces efforts semblaient superflus.
Le ministre de l'Économie de l'époque, Marcel Mart, essayait certes de relancer la machine en consacrant une table ronde au sujet dès 1972, mais il fallait attendre la crise de 1974 pour que la diversification industrielle soit vraiment remise à l'ordre du jour. Sur le plan législatif, les efforts seront accompagnés dès 1977 par un nouveau cadre légal et notamment la création de la SNCI. Au début des années 80, alors que la Communauté européenne commençait à regarder de plus près les politiques d'attraction d'entreprises à l'aide de subsides dans les États membres, le dispositif est complété par une loi sur la recherche-développement.
Les années 1990, surtout leur fin, rappellent l'ambiance du début des années 1970. Un peu comme le « Rentendësch » rappelle le très généreux accord salarial de 1974 dans la sidérurgie.
Aussi bien le Statec que le ministre de l'Économie n'hésitent plus à qualifier le poids de la place financière de monolithique. Si l'importance du secteur ne peut être niée, c'est toutefois un jugement un peu facile. Le monolithisme vaut davantage pour le budget de l'État que pour l'économie.
Après trois années de croissance économique presque inexistante, ce n'est certes guère le moment le plus propice de minimiser le poids du secteur bancaire dans le PIB. Selon les sources, il s'élève à entre vingt-cinq et trente pour cent. D'importantes différences existent cependant avec la sidérurgie de 1970, qui pesait quelque 32 pour cent du produit intérieur brut. Elles concernent d'abord le nombre d'entreprises concernées (deux pour la sidérurgie, des dizaines voire des centaines sur la place financière) et ensuite leurs activités, bien plus diverses et moins interdépendantes dans le monde de la banque que dans l'acier.
Plutôt que de lui reprocher son monolithisme, sa capacité de devenir « un destructeur de croissance », il vaudrait mieux se féliciter de la masse critique de la place financière. Quel autre secteur économique a jusqu'ici osé se doter de sa propre structure de formation de niveau universitaire ? La Luxembourg School of Finance n'est pas parfaite mais elle a le mérite d'exister et d'avoir précédé l'Université de Luxembourg.
C'est cette imbrication entre un certain nombre d'acteurs, leurs associations et fédérations ainsi que le monde de la formation et de la R[&]D qui fait cruellement défaut dans l'économie luxembourgeoise. Quand a-t-on pour la dernière fois entendu un responsable politique ou autre délimiter les secteurs ou activités dans lesquels il veut privilégier la constitution de pôles de compétence ? Certes, quand la mode est aux start-up, on parlera de start-up, quand elle est à la nanotechnologie, c'est ce fétiche qui reviendra pendant six mois dans les discours et quand la « nouvelle économie » implose, on préférera rayer des textes les passages trop précis.
Les concepts existent pourtant. On les retrouve depuis des années dans la littérature notamment sous la notion de « Learning Region ». Elle décrit la mise en réseau d'acteurs de l'économie, de la formation, de la recherche et de la politique sur un territoire donné. Si ces idées ne se retrouvent pas telles quelles dans les discours politiques, on peut heureusement en découvrir des aspects dans l'action.
Les chambres professionnelles de même que les fédérations le dernier exemple est l'Ilea, la fédération des équipementiers de l'automobile et d'ailleurs le « tripartisme » de bon nombre d'organes liés à la formation, par exemple, entrent dans cette logique. Il en est de même avec les centres de recherche publics ou encore l'agence Luxinnovation.
L'illustration la plus éloquente est peut-être le programme « cluster » qui vise justement cette mise en réseau sur des projets de R[&]D très spécifiques d'une part d'entreprises actives dans un même secteur (à l'exemple de la grappe InfoCom) mais d'autre part aussi de sociétés qui n'ont a priori que peu en commun (comme dans la grappe SurfMat).
Rassembler les pôles, clusters ou grappes n'est pas une activité de tout repos. On est loin de 1949, quand Goodyear s'est installé au Grand-Duché parce que ni la Belgique ni les Pays-Bas n'en voulaient vraiment. S'y ajoute que la politique gouvernementale essaie souvent consciemment d'éviter d'attirer plusieurs entreprises d'un même secteur au Luxembourg. S'il n'y a pas de concurrents, il y a beaucoup moins de chances que quelqu'un se plaigne des subsides accordés. Même pour les sociétés déjà établies au Luxembourg c'est loin d'être gagné d'avance de les faire participer à ces réseaux. L'explication est simple : les patrons et responsables sont des gens plutôt occupés qui ont souvent d'autres chats à fouetter. S'y ajoute qu'on garde jalousement son savoir-faire pour soi.
Pour la politique, ce sont en quelque sorte de bonnes nouvelles : même dans une économie libérale et globalisée, on a besoin d'elle. Rien de tel qu'un ministre pour faciliter la réunion d'entrepreneurs pour un peu de networking. Seul un prince voire un grand-duc s'avère encore plus efficace. Il y a toutefois aussi de mauvaises nouvelles : c'est beaucoup de travail et ça mène plus souvent à Esch qu'en Chine.