« Le pire est-il derrière nous ? » s'interroge le directeur du Statec dans la préface de la dernière Note de conjoncture.1 Avant d'y répondre, les conjoncturistes du boulevard Royal devaient se débarrasser d'une mauvaise nouvelle. La reprise tant attendue se fera désirer encore un peu plus longtemps. Après un deuxième trimestre « à la traîne », les statisticiens corrigent leurs prévisions de croissance pour 2003 de 1,8 à 1,2 pour cent et pour l'année prochaine de 2,8 à seulement 2,0 pour cent.
Le Statec parle cependant d'un « optimisme prudent » quand à une prochaine relance de la machine économique. Les indicateurs internationaux mais aussi les baromètres nationaux pointent vers un horizon plus clément.
Le domaine où il vaut mieux ne pas trop se faire d'illusions est le chômage. Bien que l'économie crée toujours des emplois (plus de 6 000 sur les derniers douze mois), l'inadéquation entre offre et demande ainsi que la concurrence entre résidents et frontaliers explique que sur la même période, l'Administration de l'emploi compte 2 250 demandeurs d'emplois de plus. Le taux de chômage maquille ces chiffres partiellement, puisqu'il exclut tous les bénéficiaires d'une mesure pour l'emploi. Fin septembre, le taux officiel s'élève ainsi à 3,9 pour cent (7 834 personnes) alors qu'il y a en fait près de 10 700 demandeurs d'emplois (5,3 pour cent). Entre-temps quelque 2 850 bénéficient de différentes mesures, dont les formations et les contrats temporaires, surtout dans le secteur public.
Le Statec ne prévoit pas d'embellie sur ce plan avant 2006. D'ici là, le taux de chômage risque d'augmenter à 4,5 pour cent au sens strict et même à six pour cent au sens large.
Les entreprises ne vont en effet pas embaucher dès la reprise de l'activité. Les banques ont certes réduit leur personnel de plus de mille personnes ou près de cinq pour cent. Mais il s'agissait là surtout d'une correction d'un optimisme trop poussé sur l'évolution future de leurs activités. Dans le secteur financier aussi, il est donc peu probable qu'on réembauche rapidement.
Bon nombre d'entreprises fonctionnent aujourd'hui avec trop de salariés pour leur volume de travail respectivement les marges qu'elles peuvent encore réaliser. Si elles ne licencient pas, c'est d'une part à cause du coût d'un plan social mais, d'autre part, surtout parce qu'elles reconnaissent avoir besoin de leur personnel qualifié dès que la conjoncture reprend.
Leur rentabilité et leur situation compétitive continueront à souffrir d'ici là. Pendant les trois années de croissance faible - « un épisode inédit dans l'histoire économique contemporaine du Luxembourg, » rappelle le directeur du Statec - les frais des entreprises ont continué à augmenter. Le salarié qui coûtait début 2001 en moyenne encore 1 500 euros à l'employeur lui revient aujourd'hui à quelque 1 650 euros, une hausse de plus de dix pour cent. La progression a certes ralenti au premier semestre de cette année, mais l'« index » du mois d'août promet une nouvelle accélération sur la fin de l'année.
Hors indexation, l'évolution salariale présente un ralentissement. Au premier semestre 2003, les primes et gratifications marquent par exemple un recul d'un bon pour cent comparé à l'an dernier où elles avaient déjà plus ou moins stagné. Or, on peut douter que cet élément seul soit suffisant pour rattraper les retards de compétitivité pris par le Grand-Duché en 2000 et 2001, années marquées par le boom et une forte croissance des salaires.
D'une manière ou d'une autre, les entreprises en concurrence au niveau international - et lesquelles ne le sont pas dans une des économies les plus ouvertes du monde - devront se rattraper sur les coûts. L'heure n'est donc guère aux embauches. L'exception constitue peut-être le commerce, un des secteurs de l'économie qui s'est défendu le mieux ces dernières années.
Tout comme le ralentissement économique a détruit quelques illusions sur l'invulnérabilité du Luxembourg, l'explosion du nombre de demandeurs d'emplois à démenti l'idée d'un chômage atypique au Grand-Duché. Les demandeurs d'emploi ne sont depuis un bon moment plus uniquement des cas désespérés sans formation.
Parmi les chômeurs inscrits, ceux n'ayant accompli que la seule obligation scolaire constituent certes toujours le plus grand groupe. Mais leur part relative a diminué en trois ans de la majorité (53 pour cent) à 45 pour cent. Plus de 1 300 détenteurs d'un diplôme de formation supérieure se retrouvent aujourd'hui au chômage (18 pour cent du total). En 2000, ils n'étaient que 500. Un tiers du total des chômeurs inscrits, 2 600, disposent du bac ou d'une formation professionnelle.
Sur le terrain, les demandeurs d'emplois luxembourgeois sont néanmoins plus à la traîne que jamais - en dépit de cette réserve de main-d'uvre de plus en plus grande et de mieux en mieux qualifiée. Plus de 70 pour cent des emplois nouveaux créés sont occupés par des frontaliers. La logique voudrait que ce taux diminue en réaction à la hausse du chômage parmi les résidents. Or, le contraire est le cas. Le taux a progressé de cinq points depuis l'année dernière.
Les chiffres « confortent, selon le Statec, l'idée que les frontaliers 'résistent' mieux aux conditions plus difficiles sur le marché du travail ». Quelle en est la raison ? Les Luxembourgeois se vendent-ils moins bien auprès d'un employeur potentiel ? Sont-ils, fort de l'expérience passée, trop exigeants ? Certains employeurs déclarent qu'il leur arrive d'avoir déjà embauché un frontalier avant que l'Adem n'ait réagi à leur offre d'emploi. Et ils doivent parfois même constater que le candidat inscrit au chômage aurait mieux répondu au profil que celui qui a finalement décroché l'emploi. Le ministre du Travail, François Biltgen, ne pourra non plus exclure de son analyse le fait que le Luxembourg verse de loin les indemnités de chômage les plus généreuses dans la Grande Région.
Or, la réponse favorite de la politique semble pour l'instant rester celle de cacher les problèmes en dessous de montagnes de subsides. Les chiffres du chômage n'incluent, même au sens large, pas l'ensemble des personnes occupées par les différentes « initiatives pour l'emploi » comme Objectif plein emploi (OGBL) ou Proactif et Forum pour l'emploi (LCGB). Or, ces projets ne survivront que tant que les subsides notamment européens couleront. Ils ne sont en effet pas à confondre avec des projets d'économie solidaire qui se contentent de s'abstenir de faire des bénéfices.
La dernière Note de conjoncture présente des chiffres qui devraient encore davantage donner à réfléchir au gouvernement - actuel et futur. Le Statec estime que l'économie luxembourgeoise devra créer des emplois à un rythme de 3,5 pour cent (près de 10 000 postes par an) pour que le chômage national baisse à nouveau. En dessous de ce seuil, la concurrence des frontaliers ne permettrait pas, selon l'expérience des derniers quinze ans, aux chômeurs locaux de s'intégrer à nouveau dans le marché de l'emploi.
Un chiffre plus inquiétant voire effrayant concerne la croissance du PIB nécessaire pour créer tant d'emplois : entre cinq à six pour cent ! Henri Grethen, le ministre de l'Économie, qualifiait récemment la période pendant laquelle le Luxembourg a atteint de telles performances, la fin des années 1980 et les années 1990, de « quinze glorieuses ». Aujourd'hui, les observateurs sont bien plus nombreux à s'inquiéter de la capacité d'atteindre une croissance de quatre pour cent, comme repris dans les calculs du Rentendësch, que ceux qui estiment que l'économie luxembourgeoise pourra à nouveaux s'envoler à des taux de croissance de plus de cinq pour cent par an.
Le Statec lui même n'y croit pas, d'ailleurs. L'office chiffre le potentiel de croissance à moyen terme de l'économie luxembourgeoise tout au plus à 4,5 pour cent. Même si les statisticiens ne l'expriment pas de manière aussi directe : ils semblent avoir de très sérieux doutes que, sans réformes structurelles, le chômage baissera à nouveau - même après 2006.