Une femme sur trois aura été battue ou forcée d’avoir des rapports sexuels ou aura subi d’autres abus au cours de sa vie – voilà les chiffres alarmants publiés par UN Women. Selon le pays, la proportion des femmes ayant enduré des actes de violence physique ou sexuelle perpétrés par des hommes – la plupart du temps par leurs maris, partenaires ou des connaissances – peut atteindre jusqu’à 70 pour cent. Parmi les femmes âgées entre quinze et 44 ans, la violence cause plus de décès ou de blessures provoquant un handicap que le cancer, la malaria, les accidents de la route et la guerre. La violence contre les femmes peut prendre différentes formes – sexuelle, physique ou émotionnelle – et apparaître dans les domaines de la vie les plus divers – au domicile, au travail, à l’école ou même dans des lieux placés sous protection, comme des camps de réfugiés par exemple.
Sans même parler des souffrances physiques et psychologiques durables des femmes victimes, il faut être conscient des dimensions économiques impliquées : selon les conclusions de l’enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes aux États-Unis de 2001, le coût annuel des violences exercées par le partenaire intime s’est élevé à plus de 5,8 milliards de dollars, dont 4,1 milliards au titre de services médicaux et de santé mentale directs.
Pour combattre ce phénomène qui atteint les proportions d’une pandémie, en 1999, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 25 novembre journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. En effet, l’Onu a repris cette date des défenseurs des droits de la femme, qui depuis le 25 novembre 1981 célèbrent la journée contre la violence sexiste en mémoire des trois sœurs Mirabal, opposantes politiques en République dominicaine, qui furent assassinées le 25 novembre 1960 sur ordre du dictateur Rafael Trujillo.
À cette occasion, l’Onu invite les gouvernements, les organisations internationales et les ONG à organiser des activités pour sensibiliser le public au problème de la violence à l’égard des femmes.
Toutefois, au Luxembourg cette journée risquerait de passer inaperçue – s’il n’y avait pas l’initiative bienvenue d’une asbl pour organiser un colloque sur le sujet. Soutenu par le ministère de l’Égalité des chances, celui-ci se déroulera en présence de madame la ministre, qui, on l’aurait remarqué même sans sa déclaration juste après son entrée en fonction, n’est pas féministe... Voyons donc !
De nos jours, le terme de féministe ou féminisme peut sembler perverti et emprunt de connotations péjoratives, du moins aux yeux du grand public non-averti. Mais d’une ministre à l’Égalité des chances, on est en droit de s’attendre à une attitude plus nuancée et plus avertie. Rappelons que selon le Larousse, le féminisme est défini comme « mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société ». Étant donné que les domaines où les femmes sont discriminées et leurs droits violés restent nombreux, partout dans le monde et même en Europe et au Luxembourg, la cause du féminisme est toujours d’actualité …
Pourtant au petit grand-duché, le bilan du ministère de l’Égalité des chances est peu concluant depuis les dernières élections.
On n’a rien vu passer ne fût-ce l’abolition du prix féminin de l’entreprise et l’organisation d’une conférence sur l’égalité des chances des hommes. Il s’agit, je suis d’accord, d’une initiative intéressante et le conférencier choisi a su faire preuve d’une attitude nuancée et de beaucoup de bon sens. Il est vrai que les hommes aussi ont leur combat à mener pour se libérer des stéréotypes et des rôles traditionnels qui leur sont attribués – les hommes et les femmes y ont certainement beaucoup à gagner. En revanche, en considérant l’activité de la ministre « non féministe » en faveur des femmes – l’initiative me paraît peu convaincante.
Pour ce qui est de la violence, qui est notre première préoccupation en cette journée du 25 novembre, la démarche de la ministre n’est guère plus probante. Les amendements au projet de loi 6181 modifiant la loi de 2003 sur la violence domestique déposés ces jours-ci ignore tout simplement une bonne partie des remarques et recommandations des associations travaillant dans le domaine de la violence domestique qui sont les spécialistes en la matière.
De la « Bannmeile », par exemple, qui figurait encore dans le projet de loi initial, il ne restera plus qu’une interdiction générale pour la personne expulsée de s’approcher de la victime. Avec une formulation aussi floue, on peut se demander comment on fera respecter cette interdiction en pratique.
Dorénavant, la personne expulsée sera obligée de se présenter endéans quatorze jours auprès d’un service prenant en charge les auteurs de violence domestique – alors que tous les experts s’accordent pour dire qu’une prise en charge psychologique ne sert à rien si l’auteur de violences n’en a pas fait la démarche volontairement.
Autre problème : la possibilité pour la personne expulsée de se faire représenter en justice par un avocat ou par un collaborateur d’un service prenant en charge les auteurs de violence domestique. En effet, ce service se trouvera chargé de plusieurs missions dont les buts peuvent être diamétralement opposés.
Ainsi, les milieux concernés redoutent que la réforme de la loi sur la violence domestique sera loin d’amener les progrès espérés. La loi de 2003 sur la violence domestique représentait à l’époque une avancée formidable. Les évaluations de l’application, dont la première date de 2006, ainsi que les rapports des organisations œuvrant dans le domaine de la violence ont mis en exergue les points faibles et dispositions à revoir. Le projet de réforme à son stade actuel ne correspond pas aux recommandations et attentes des milieux concernés. Il n’est pas trop tard pour mieux faire.
Le 25 novembre est l’occasion d’une alerte nécessaire de l’opinion publique sur l’importance du sujet et de son impact dramatique sur la vie des femmes et celle de leurs enfants ainsi que celle des enfants de leurs enfants etc.
C’eût été l’occasion de proposer de calculer le coût en termes financiers pour notre société afin de susciter la prise de conscience nécessaire que la violence n’est pas uniquement une violation des droits de l’Homme mais aussi un problème d’ordre économique très coûteux. Il y a lieu aussi d’appeler à la ratification de la convention contre toutes sortes de violence faites aux femmes, y compris la violence domestique.
La journée du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, aurait dû être l’occasion de lancer des actions et initiatives pour la défense des droits des femmes – avec la volonté et l’engagement requis, peut-être même cette journée parviendra-t-elle à trouver l’écoute et l’attention qui manquent cruellement à la journée internationale de la femme commémorée en date du 8 mars.