La majorité du nouveau conseil communal de la capitale ne veut plus des caméras de surveillance de la police. « Étant donné que l’étude ‘Visupol’ a démontré l’inefficacité du système de surveillance par caméras dans la prévention de la criminalité dans les espaces publics, (et) a provoqué la délocalisation des problèmes d’insécurité vers d’autres quartiers », le parti démocratique et le parti déi Gréng se prononcent « contre la continuation de la surveillance des espaces publics par des caméras et (entendent) intervenir en faveur de l’amélioration de l’aménagement convivial des [-]espaces publics et du ‘Streetwork’ pour prévenir les problèmes d’insécurité ». C’est ce que dit l’accord de coalition 2011-2017 du conseil communal de la ville de Luxembourg, signé le 9 novembre, où le bourgmestre désigné Xavier Bettel (DP) affirma que la coalition s’oppose au renouvèlement de l’autorisation donnée à la police pour exploiter le système de vidéosurveillance des quatre zones de sécurité1.
Le lendemain, le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf (CSV) signe le règlement ministériel du 10 novembre 2011 portant désignation des zones de sécurité soumises à la vidéosurveillance de la police grand-ducale, « vu l’évaluation des risques émise par le directeur général de la police grand-ducale, ainsi que les avis du procureur d’État de Luxembourg et du comité de prévention communal de Luxembourg ». C’est donc [-]reparti pour un an.
Pour défendre le système, le ministre s’appuie sur les résultats d’une étude du professeur allemand Manfred Bornewasser de l’université de Greifswald en Allemagne. Cette étude avait été commandée après les échauffourées ces dernières années entre le ministre et les défenseurs des libertés publiques (voir d’Land du 12 novembre 2010). Mais les conclusions de l’étude n’ont visiblement pas abouti à trancher la question. Le professeur a examiné les statistiques de la criminalité, il a analysé le système en place et a effectué une enquête auprès de 1 500 citoyens et 230 membres de la police.
Le point central demeure toujours le fameux sentiment d’insécurité de la population. Pour Jean-Marie Halsdorf, le succès de Visupol tient pour la majeure partie dans le fait que la plupart des personnes interrogées ont admis qu’elles se sentaient plus à l’aise dans les zones sous vidéosurveillance. Or, ce qui les dérange, c’est moins la crainte d’un vol ou d’une agression, mais bien plus l’accumulation d’incivilités – des gens qui font la manche, des personnes en ébriété, des « bandes » sans gène qui perturbent le calme ambiant et laissent traîner leurs ordures. C’est donc davantage un manque de savoir-vivre et d’éducation qui incommode les gens qu’un réel danger pour les personnes et leurs biens.
C’est la raison pour laquelle l’idée a été reprise d’étendre les pouvoirs des agents municipaux et d’introduire des sanctions administratives adaptées pour contrer ces incivilités. Pour les toxicomanes par exemple, l’expert allemand propose de leur confisquer temporairement les téléphones portables, sachant qu’ils en sont particulièrement dépendants. « Nous ne pouvons pas demander aux policiers de s’occuper aussi de toutes sortes d’incivilités, » précise Jean-Marie Halsdorf dans un entretien accordé au Land, « la police doit se concentrer sur son core business. C’est pourquoi nous allons analyser l’idée de charger les agents municipaux de s’occuper des incivilités – avec le Syvicol, le syndicat des villes et communes luxembourgeoises, et le ministre de la Justice. Mais il est hors de question qu’ils deviennent des officiers de police judiciaire ou qu’ils reçoivent des armes. Il faut une ligne de démarcation claire »
Il propose donc le statu quo pour la vidéosurveillance, surtout qu’il s’agit d’un instrument important de retraçage pour la police – quatre meurtres ont pu être élucidés, indique Andrée Colas, responsable de la direction de la sécurité intérieure au ministère de l’Intérieur. Cependant, les interventions directes par la police sont plus clairsemées. Le professeur a décelé un manque de communication entre la cellule de Visupol – dont les membres ne sont pas des policiers – et les équipes d’intervention sur le terrain. Or, pour être efficaces, il faut que les personnes qui visualisent les images donnent rapidement l’alerte – lorsqu’une personne est agressée par exemple – pour que la police puisse intervenir sur le champ. Selon l’expert Bornewasser, il faudrait regrouper les cellules du centre d’intervention et Visupol pour augmenter l’efficacité et la rapidité. « La séparation est une contrainte législative, précise Andrée Colas, la commission nationale pour la protection des données a insisté sur cette disjonction ». Et d’ailleurs, comme les moniteurs ne sont visionnés que pendant la journée, les images enregistrées pendant la nuit ne peuvent servir que pour retracer des délits, rien de plus. Dans l’immédiat, le ministre ne compte pas étoffer l’équipe pour assurer une présence 24 heures sur 24 devant les écrans. Il préfère davantage de présence policière sur le terrain, c’est la raison pour laquelle il a amorcé une réorganisation des commissariats de proximité.
Au sein de la police, la perspective d’un débranchement des caméras n’est pas vraiment une bonne nouvelle. « Il s’agit d’un instrument précieux de retraçage pour nos agents, confirme le porte-parole Vic Reuter, au Land, mais c’est une décision politique à laquelle nous devrions nous soumettre, si jamais elle devenait concrète. »
Du côté du ministre de l’Intérieur, le risque est minime que cela arrive. Car Jean-Marie Halsdorf ne partage pas les craintes des défenseurs des libertés publiques, pour qui la vidéosurveillance est une ingérence grave dans la vie privée. Il réfute aussi la conclusion négative que tirent les membres de la coalition bleue-verte de la Ville de l’étude Bornewasser. Il a signé le prolongement de Visupol sur deux avis positifs. « D’ailleurs, le comité de prévention communal de la Ville a lui aussi émis un avis favorable pour les zones A et C, insiste le ministre, il ne l’a pas été pour la zone B à cause des travaux qui vont débuter au centre Aldringen. Ce dernier avis n’est que consultatif et rien ne prouve que l’étude ait démontré l’inefficacité du système, comme l’avance le programme de coalition de la majorité en Ville. »
« Les problèmes ne sont pas traités à la racine, riposte le nouveau bourgmestre Xavier Bettel, même si au centre ville et à la place de la gare la situation s’est calmée un peu, la délocalisation de la petite délinquance touche maintenant les quartiers résidentiels et scolaires. » Il s’agit surtout de la place de Strasbourg dans le quartier de la gare. Le phénomène des toxicomanes s’est aussi déplacé vers la structure Tox In à la route de Thionville. « L’étude a montré que la vidéosurveillance peut compléter certaines mesures comme la présence accrue de policiers sur le terrain ou les streetworkers, sans plus, ajoute-t-il, mais nous nous opposerons au système Visupol aussi longtemps qu’il sera considéré comme la solution aux problèmes. »
Il aurait fallu mettre en place des structures de prévention avant de fixer des caméras et non l’inverse. « Et de toute manière, le ratio entre le coût de Visupol et le bénéfice que la société peut en tirer est en déséquilibre. Je ne vois pas de plus-value, car la vidéosurveillance reste pour moi une atteinte à la vie privée. »2
Et de dénoncer l’effet de spectacle des caméras, qui ne font que déloger les problèmes au lieu de les résoudre. « À l’avenir, nous n’émettrons plus aucun avis positif pour un rallongement de l’autorisation d’exploitation aussi longtemps que le gouvernement ne fera pas plus d’efforts concernant les autres mesures de prévention », annonce-t-il. Or, comme l’avis du comité de prévention communal n’est que consultatif, il sera difficilement utilisable pour faire pression sur le ministre qui se trouve soutenu par « l’avis favorable des citoyens ». D’ailleurs, des pourparlers sont menés avec le bourgmestre d’Ettelbruck Jean-Paul Schaaf (CSV), pour y installer le même système de vidéosurveillance, « mais les discussions n’ont pas encore abouti », précise Jean-Marie Halsdorf, tout en insistant sur le principe que les caméras sont installées dans les communes uniquement si elles en ont fait la demande expresse. Mais comme le montre l’exemple de la capitale, une fois les caméras installées, il sera quasiment impossible pour les édiles locaux de faire marche arrière.