Pourquoi diable ouvrir ce débat alors que le Luxembourg s’est déjà doté de règles et que la jurisprudence actuelle est très claire en la matière ? L’initiative de la ministre de l’Éducation nationale Mady Delvaux (LSAP) de soumettre un projet d’instruction relatif à l’ouverture aux pratiques religieuses à l’école a provoqué une nouvelle levée de boucliers des enseignants, syndicats et citoyens laïcs. L’association Aha (Allianz vun Humanisten, Atheisten an Agnosti-ker) a notamment jeté le pavé dans la mare en publiant la missive de la ministre et en avertissant les autorités qu’elles avaient ouvert la boîte de Pandore. Et pour cause.
D’abord, la ministre propose d’organiser des cours de natation séparés pour garçons et filles, « dans la mesure des disponibilités humaines et infrastructurelles », refilant la patate chaude aux directeurs d’établissements qui devront se justifier pourquoi ils n’arrivent pas à organiser ces cours supplémentaires. C’est ouvrir la voie à l’organisation des cours séparés en général, comme le note d’ailleurs le front commun des syndicats d’enseignants dans un communiqué, reprochant à la ministre socialiste de vouloir instaurer la « ségrégation religieuse au sein de l’école publique ».
En matière de biologie, certaines personnes se heurtent notamment au cours d’anatomie humaine, pour des questions d’ordre religieuse ou morale, et souhaiteraient que leurs enfants ne soient pas exposés à ces matières « délicates ». Une prochaine étape serait donc d’adapter ces cours aux différentes sensibilités. Dans cet ordre d’idées, ne faudrait-il pas remplacer les cours sur l’évolution de Darwin par le créationnisme, tel que le veulent certains milieux ultra-catholiques aux États-Unis notamment ? Dans sa missive, la ministre précise uniquement que « tous les élèves sont tenus de participer à tous les cours, y compris la biologie et l’éducation physique ».
Ensuite la tenue vestimentaire : la ministre propose que le voile peut être admis si les parents en font la demande écrite. Zéro réflexion sur la signification du port de voile pour l’égalité des chances et la non discrimination des filles. Alors que même la très prudente assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe estime « que cette tradition pourrait représenter une menace pour la dignité et la liberté des femmes »1.
Et en ce qui concerne les prières à l’école, la ministre propose de mettre à disposition des lieux de recueillement. Pendant les pauses ou l’heure de midi. Aux dirigeants des établissements donc de trouver des locaux nécessaires et, dans cette logique éventuellement, d’aménager les horaires et pauses pour qu’ils conviennent aux pratiques religieuses de leurs élèves.
« Refusons le retour au Moyen-Âge, empêchons qu’un mur de ségrégation ne soit érigé dans nos écoles ! » scandent les syndicaux, affolés. Et ils ne sont pas les seuls. Ce point a rapidement été mis à l’ordre du jour de la réunion hier de la commission parlementaire de l’Éducation nationale.
Or, la question a déjà été tranchée par la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 20 novembre 1998. À l’époque, les autorités se trouvaient face à la demande de bien vouloir dispenser un élève, membre de l’Église adventiste du 7e jour, des cours de samedi, car cette religion imposait le repos absolu ce jour-là. La réponse de la Cour a été très claire : « Les convictions religieuses ou philosophiques ne peuvent aller à l’encontre du droit fondamental de l’enfant à l’instruction ». Et encore : « L’étendue de la liberté des cultes ne saurait être telle que son exercice provoque des difficultés susceptibles de perturber la programmation des cours scolaires et donc le système éducatif ».
L’élément majeur ainsi a été replacé au centre du débat : l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à une éducation de qualité. Dans cet arrêt, la Cour a ainsi tranché la question de la hiérarchie des droits fondamentaux qui s’opposent dans le cas des pratiques religieuses à l’école.
La Cour européenne des droits de l’homme a elle aussi une jurisprudence étoffée en la matière et estime par exemple que l’interdiction du port du voile dans une école n’était pas contraire à la Convention des droits de l’homme, car cette interdiction poursuivait un but légitime : « la protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre »2. Les juges étaient même d’avis que cette réglementation poursuivait « notamment le but légitime de neutralité de l’enseignement secondaire dont bénéficient les adolescents, qui sont par leur âge plus sensibles aux pressions ». Ce n’est donc pas la religion qu’il faut protéger en premier lieu, mais les individus, vulnérables parce qu’ils sont encore jeunes.
La ministre va dans la direction opposée et c’est à se demander d’où elle a puisé son inspiration en affichant une tolérance mal placée, sans même prendre en compte l’évolution en la matière, ni sur le plan national, ni international. Dans ce contexte, il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir que l’initiative de Mady Delvaux a trouvé un écho dans Junge Freiheit, la publication d’extrême droite en Allemagne. Les dégâts sont faits.
Maintenant que la boîte est ouverte, il est urgent d’imposer définitivement la laïcité à l’école et de bannir toutes les tentatives de récupération religieuse. C’est l’occasion à saisir.