Pour accéder à l’exposition L’Art d’apprendre. Une école des créateurs, ouverte depuis le 5 février, il faut se rendre à la galerie n°3 du Centre Pompidou-Metz. Soit le niveau le plus haut du prestigieux bâtiment, d’où l’on bénéficie d’une vue imprenable sur le paysage local. Une position altière qui est propice au thème pédagogique, pourtant rarement abordé dans un espace dévolu à l’art alors que la transmission compte parmi les missions principales de toute institution culturelle. Et en effet, éduquer ne signifie-t-il pas « s’élever », autrement dit passer à un état supérieur de son existence ? Soit tout le contraire de l’élevage où sont requises docilité, discipline, obéissance, comme cela était autrefois exigé des écoliers ou encore imposé dans ces lieux d’enfermement (prison, hôpital psychiatrique) où prévalait une approche traditionnelle de la pédagogie, basée sur une indiscutable autorité et une nette séparation entre maître et « ignorant ». Fort heureusement, nous n’en sommes (presque) plus là. Cela, notamment grâce à l’apport de pédagogues à l’activité pionnière tels que Célestin Freinet, Alexander Sutherland Neill (Libres enfants de Summerhill, 1960), Paolo Freire (Pédagogie des opprimés, 1970), Ivan Illich (Une société sans école, 1970), ou encore Fernand Deligny, tous mis à l’honneur de la manifestation messine. Ce n’était pourtant pas gagné, tant la pédagogie a longtemps été une activité assignée aux esclaves dans la Grèce antique (le pédagogue était alors l’esclave menant l’enfant à l’école). Mais aussi longtemps déléguée à d’autres (la nourrice, le précepteur) par les classes nobiliaires.
Ainsi que l’indique son titre, ce sont les deux termes d’une relation dialectique que l’on entend passer en revue : d’un côté, interroger la façon dont l’art se transmet dans les écoles dédiées à la création (L’Art de l’apprentissage) ; de l’autre, la tentation des artistes d’investir la pédagogie, sinon de vouloir dépoussiérer les méthodes d’apprentissage (Une école des créateurs). En pénétrant dans l’espace d’exposition, une petite table regorgeant d’ustensiles colorés se présente, laissés au libre usage d’un public familial. Dans ce coin aménagé pour les enfants en bas âge, avec un mobilier spécialement adapté à leur taille, ainsi que le préconisait Maria Montessori, les bambins peuvent se faire la main sur quelques objets ludiques à assembler. Pour les plus grands, une salle de classe revisitée, baptisée Ecoletopie et conçue par le studio de design de Stéphanie Marin, est chaque week-end mise gratuitement à disposition des associations. Tout l’espace de cours y a été repensé, depuis les chaises munies d’une assise élastique (sChaise), à des structures modulables à l’infini, des jeux dépourvus de règles, jusqu’au studio de production audiovisuelle incluant la mobilité des apprenants de part et d’autre de l’écran. Dans ce même geste de reconfiguration de l’espace figurent l’ensemble mobilier du constructiviste Alexander Rodtchenko à destination des ouvriers (Club ouvrier, 1925), mais aussi le grand cercle de sacs de sable multicolores conçu par Dan Peterman, Civilian Defense (2007), un espace convivial que le visiteur peut investir après s’être déchaussé. Pour cet artiste qui a rejoint en 1986 le Resource Center de Chicago, où il dispose depuis d’un atelier, l’acte de créer coïncide avec celui de recycler. Constitué de sable et de tissu, Civilian Defense tient autant du parlement où peuvent débattre les citoyens, que de la barricade où mener collectivement une activité de résistance civile. On sait par ailleurs que Peterman s’est souvent livré à des activités de solidarité au sein de la cité : jardinage et cuisine communautaires, plate-forme curatoriale, édition de revues critiques, atelier de réparation de vélos... Pareille articulation traverse l’artiste Fluxus Robert Filliou, auteur de l’ouvrage collaboratif Enseigner et apprendre. Arts vivants (1969), dans lequel l’apprentissage et l’enseignement rejoignent l’art de la performance.
Une décennie de militantisme, de décolonisation, de revendications égalitaires (entre hommes et femmes, entre Blancs et Noirs), et de révoltes estudiantines finiront par avoir raison du système éducatif traditionnel à la fin des années 1960. Plusieurs salles mettent à l’honneur le travail mené par les Lettristes, qui ont réformé la poésie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour revenir à son unité minimale : la lettre, où le son prend le pas sur la signification. De ce courant d’avant-garde, deux belles œuvres prenant appui sur des références picturales (Soutine, Van Gogh) sont signées de son chef de file, Isidore Isou. Soit l’occasion de se familiariser avec l’hypergraphie, un système de signes inédit en ce qu’il ne relève d’aucun alphabet connu. Un film de Maurice Lemaître, disciple d’Isou, exalte de son côté Le soulèvement de la jeunesse (1968), non loin des affiches du situationniste Asger Jorn où s’affirme une révolte politique inséparable de l’abolition de l’orthographe (« Ais os etudiants qu’il puise etudier et aprandre en liberté », peut-on lire). Tandis qu’en 1968 Jean-Luc Godard, « le plus con des maoïstes pro-chinois » d’alors, fait dans la provoc en réalisant avec le peintre Gérard Fromanger un cinétract où de la peinture rouge, comme une tâche de sang, finit par se répandre et ensevelir les trois couleurs du drapeau national...
À l’autre extrémité de l’exposition, une pièce, entièrement blanche initialement, a été recouverte d’une ligne continue par les étudiants de l’École Supérieure d’Art de Lorraine (ESAL), sous la direction de Bazon Brock, disciple de l’Autrichien Friedensreich Hundertwasser qui en avait posé le principe. Outre les guides à disposition des jeunes visiteurs, les planches didactiques illustrées de Nayel Zeaiter ponctuent le parcours, repèrent et informent le public. Sans oublier la programmation cinéma qui accompagne l’exposition où l’on pourra revoir quelques incontournables, tels que Monsieur Deligny, vagabond efficace (2020) de Richard Copans (voir d’Land du 10 juillet 2020), Le Petit Fugitif (1953) d’Engel et Orkin, ou encore L’Enfant aveugle (1964), joyau du grand documentariste batave Johan van der Keuken.