Entrer dans la Nosbaum Reding Projects Gallery, c’est pénétrer dans la forêt en ayant quitté le tracé des sentiers. En recherchant qui est JKB Fletcher, on retrouve une constante de travail, la photographie, qu’il a utilisée et utilise toujours pour peindre ensuite des toiles. Lors d’un long séjour en Australie, JKB Fletcher a réalisé beaucoup de portraits réalistes, voire hyper-réalistes. De cette période, il dit que son challenge était « de rendre des formes, de créer de la profondeur, en superposant des couches de peinture à l’huile de pas plus d’un millimètre d’épaisseur, pour, au final, produire une image reconnaissable (entendez réaliste) en usant de la seule couleur. »
Désormais, JKB Fletcher, né en Grande-Bretagne en 1982, vit au Luxembourg. Il est installé dans le sud du pays. Attiré par le passé industriel, ce n’est pourtant pas la rudesse de ses paysages à l’abandon qu’il a présentée en 2000 lors de son premier accrochage solo à la même Projects Gallery, mais des Landmass, qui montraient des pans de montagnes aiguisés, dont les hauts sommets enneigés semblaient justifier l’utilisation de la non-couleur, le noir et blanc.
Pour parler technique et évoquer sa deuxième exposition, Abundance, à voir actuellement, le travail d’après photo et la finesse de l’utilisation de la peinture à l’huile restent la constante de son œuvre. L’accrochage en témoigne, JKB Fletcher a travaillé ces deux dernières années des séries que l’on peut interpréter comme une ode à la forêt. Ses troncs verticaux, le relief du feuillage, l’ouverture subite et abondante (d’où sans doute le titre général) des bourgeons. Le rapport à la photographie, c’est que l’on est comme à l’intérieur du sous-bois, on semble regarder de face les couronnes feuillues et, la tête levée, par en-dessous, la floraison printanière.
Pour en revenir à la photographie, pas seulement comme technique mais en tant qu’art, on peut affirmer qu’Abundance est un quasi retour au pictorialisme, où la photographie était – presque encore de la peinture. Le texte qui accompagne l’exposition le dit. La forêt peinte par Fletcher, n’est plus qu’un écho de la forêt, en noir et blanc : ainsi de deux grands tableaux, dont l’un semble être le négatif de l’autre, ou, la représentation de la floraison aussi fragile et subitement disparue des cerisiers du Japon que les Nippons vénèrent dans et pour la fugitivité de l’instant. Quant aux feuillus, présentés en triptyque, ce qui est une forme classique de peinture d’autel, ce serait montrer la sacralité de nos bois. Un objet de vénération devant lequel méditer. Le temps de l’abondance n’est plus, Fletcher nous le fait subtilement comprendre.
Précieuse est la manière de peindre de Carine Kraus, dont on peut visiter simultanément à la galerie Fellner contemporary l’exposition monographique de pas et de plis. La figure humaine a toujours été un sujet de prédilection pour cette artiste luxembourgeoise, diplômée de l’Ecole d’Art de Lausanne où elle a elle-même enseigné, avant un parcours professionnel parisien dont en 2014-2015, un séjour à la Cité des Arts.
Carine Kraus est à l’aise dans la représentation des êtres humains, ou plutôt des corps humains, dont elle présente ici une série comme saisie dans l’instant de la danse. Carine Kraus a réalisé Danseuses, bustier, turquoise et Pina 6, hommes en 2018-19, aussi d’après photographie. La transparence de l’acrylique sur toile fait scintiller le brillant des robes des femmes virevoltantes dans la première œuvre et focalise le regard sur les mains d’hommes vêtus de costumes sombres, stricts, qui tapent, comme des danseurs de flamenco.
C’est un quasi sur-place, alors que tous les corps et autres parties de corps représentés par Kraus sont entraînés par le mouvement de la danse. On sent aussi l’effort physique, une impudeur se dégage parfois de mouvements du bassin. Ce n’est pas le cas de ses deux peintures les plus récentes. Pas à gauche et Pas à droite, outre que le mouvement de la danse entraîne les silhouettes comme hors du cadre, elles ne sont plus que mouvements de tissus et corps enlacés, ce qui éclaire le titre général de l’exposition de pas et de plis. Le pied de la danseuse seul prend encore appui sur un sol miroir. C’est, à n’en pas douter, un pas de tango, la danse la plus sérieuse qui soit. Carine Kraus sait la peindre.