Après le pavillon de Danh Vo, le vestiaire de Nedko Solakov, voici une troisième exposition au Mudam, réduite certes mais non moins riche, dans ce qui s’appelle le Jardin des sculptures, fief des années durant de la fontaine de Su-Mei Tse. À priori, ou à première vue, il peut paraître vide, d’autant plus que la perspective avec Martine Feipel et Jean Bechameil n’est plus la même : vers le pavillon, il y a un arbre en aluminium (il a du mal à se détacher des volutes de l’escalier de Pei), par terre deux autres pièces dans le même matériau, formes de citrouille, mais il faut regarder de suite à droite, vers le bas de la paroi vitrée du musée, elle donnait l’autre jour sur un ciel bien gris, à peine animé de quelques branches. Un tronc d’arbre, lui aussi en aluminium, peint pour faire plus vrai, et ça bouge, avec des excroissances, très variées de forme et de couleur.
Une photographie accrochée à l’un des murs du jardin montre le premier arbre dans un autre lieu, un autre contexte, sur une plage du pays basque, comme s’il avait poussé dans le sable. L’art lui a permis d’être de suite épanoui, dans toute sa splendeur, aux deux endroits si différents l’un de l’autre, et le titre lui accorde même la qualité d’immortalité. Là, dans le jardin intérieur du Mudam, il rend compte d’une opposition, ou rivalité, entre art et nature toujours ; lui est debout, pour de bon, l’arbre couché, abattu, serait resté vivant toutefois, avec des rejetons qui viennent rythmer l’espace sur quelques mètres de longueur.
Ils l’égayent d’une certaine façon, où le tronc ferait fonction de scène de théâtre, ou d’écran, et c’est un défilé de figures, les unes fortement coloriées, les autres moins. Surgies hors de ce bois mort, ou manufacturées, placées là pour nous abuser. Ce qui ferait cet arbre étrange s’apparenter à une caverne platonicienne, mais en plus qu’il interroge, interpelle, il emmène le regard vers la profondeur du jardin.
On sait, plus besoin de trop y revenir, la manière des Feipel & Bechameil. On n’insistera donc pas trop sur ce qui rattache leur travail aux mouvements d’avant-garde du vingtième siècle, avec la part de mise en question, de critique nécessaire. Dans notre cas, c’est bien sûr, on l’aura déjà noté, c’est bien sûr la nature qui est centrale, au sens le plus large, et avec cette œuvre d’art idoine, intitulée en plus Garden of Resistance, s’approprie l’espace du musée et l’esprit du visiteur. Nature, art, technique, les trois se rejoignent dans un croisement bienvenu, véritable hybridation qui se joue, tel un petit drame, au long du tronc.
Cela pousse donc, tel un champignon, à moins qu’on ne soit tenté d’y voir une grande oreille, comme il en est dans les stations radar ; à côté, plutôt ce qui reste d’une partie de l’arbre frappée par la foudre, et plus loin deux autres développements plus ou moins fantaisistes du tissu végétal.
Martine Feipel et Jean Bechameil pratiquent avec le plus grand bonheur la déviation, le détournement. Tout ce qui a rapport avec le même préfixe caractérise leur art, et aujourd’hui on parlera plus volontiers de déconstruction. Elle génère de la distance, une distanciation où il appartient à notre regard, à notre esprit de prendre la relève, pour ainsi dire de recréer. Autre occurrence répétée d’un préfixe. Et il s’ouvre alors un temps, un espace (le jardin des sculptures est fait aussi pour relier, pour rejoindre), en premier pour le questionnement ; et très vite, imbrication de l’art justement, cet autre moment, d’enchantement, de ravissement. Comme sous l’effet d’un coup de baguette magique, d’un sortilège.