C’est au Casino Display qu’il faut aller pour voir sur quel futur travaillent les très jeunes artistes. L’ancien Konschthaus beim Engel, en apparence toujours rébarbatif avec ses fenêtres obscures, commence à faire sa mue dans l’environnement historique du Fëschmaart. Cette très ancienne maison, liftée light mais efficacement par Njoy Interior Design, se trouve en quelque sorte dans « l’îlot sacré » de l’art contemporain à Luxembourg, avec la galerie Nosbaum Reding comme locomotive, qui incite aussi à faire un tour chez Fellner Contemporary. Le Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA), dont les expositions temporaires sont de mieux en mieux agencées, fait néanmoins, avec son austère façade aveugle et le parvis dans un état de dégradation avancé, tâche dans ce mini-pôle d’art de la capitale.
On y incite désormais les amateurs à passer voir aussi ce qui se fait au Casino Display. C’est ici que le Casino Luxembourg-Forum d’Art Contemporain propose désormais des expérimentations artistiques créées in situ (voir d’Land du 23.7.2021) et Woven in Vegetal Fabric : On Plant Becomings, ne faillit pas à notre première bonne impression. C’est malheureusement un peu tard (l’exposition ferme le 27) pour assister aux expériences artistiques « live » (et partagées avec des scientifiques du Musée National d’Histoire Naturelle qui ont beaucoup apporté à l’aspect expérimental de l’exposition). Mais la démonstration est faite que ce lieu autrefois réputé difficile à utiliser peut devenir un lieu vivant.
Depuis début janvier et ce week-end encore, on sera reçu par Charles Rouleau, un tout jeune artiste né au Canada, qui vit au Grand-Duché et termine actuellement à l’université d’Amsterdam un master en recherche esthétique. Il est le commissaire de cette réflexion spéculative sur le futur de la végétation suite aux dégâts de l’anthropocène. La phytosphère évoluera, s’adaptera et créera un autre monde. Le présupposé est que l’homme y aura sans doute du mal à trouver sa place. La scène de l’art contemporain s’est emparée, depuis un certain temps déjà, de cette tendance assez déprimante. C’est aussi le cas ici mais l’avertissement en soi, n’est pas l’objet de Woven in Vegetal Fabric.
Le cahier des charges à la base de la programmation était inter-disciplinaire (en rhizome, pour utiliser un terme du monde végétal) et durant la résidence – puisque l’exposition au Casino Display est le fruit de trois mois de travail sur site – a donné lieu aussi, sous la houlette de Charles Rouleau, à une première expression des lycéens en arts visuels du Lycée des Arts et Métiers et du Lycée de Clervaux. Une manière didactique d’affûter le regard de plus jeunes encore. Si les lycéens se sont essayés à la photographie et que le résultat n’est pas professionnel – c’est le premier travail présenté au rez-de-chaussée – ils ont appris à regarder le micro-environnement végétal à l’échelle des micro-plantes (autour du lycée à Clervaux). On peut voir une manière déjà plus élaborée de transposition conceptuelle par les élèves des Arts et Métiers. Ainsi de quelques images habiles, comme les tissus d’une chambre aux motifs de roses, de fausses fleurs en papier à la texture comme de vrais pétales ou la production active de vapeur d’eau par des plantes dans un bocal. Suit au niveau -1, une installation très poétique de Léonie Brandner, qui est comme Charles Rouleau encore étudiante. À la Koninklijke Academie van Beeldende Kunsten (KABK) de La Haye, la jeune femme travaille la céramique, la narration et le chant, toutes disciplines confondues dans son installation.
On découvre ici une mise en scène lunaire de la fleur d’onagre qui a la grâce d’ouvrir ses corolles jaunes la nuit venue. La lumière de l’astre amplifie son parfum pour attirer les insectes polinisateurs. L’artiste a matérialisé sous forme d’oreilles en céramique, l’ouïe du visiteur habituellement sourde aux vibrations acoustiques de la plante et imagine un chant polyphonique. Le parcours de la lune et les mouvements synchrones de la plante sont simulés par les ombres portées générées par un projecteur qui mime exactement cette rotation. Il faudrait cependant rester au niveau -1 le cycle entier pour vivre l’expérience totale... Charles Rouleau lui aussi propose une pièce audio mais sans effets visuels. C’est une sorte de symphonie végétale de vrombissements amplifiés, enregistrés au Vondelpark à Amsterdam, dont le travail de creusement des vers de terre, indispensable à rendre le sol meuble. On peut trouver plus convenue l’expérience des philtres magiques de Catherine Duboutay. Le sujet iel/lui se devait presque d’être dans l’exposition, le pronom « iel », étant entré cette année dans le dictionnaire Le Robert. On peut regretter que l’expérience sensorielle nature/culture des infusions supposées avoir des effets aphrodisiaques, « où la perception du genre s’égare », soit trop éloignée des enquêtes sociologiques vidéos réalisées avec un groupe impliqué physiquement et intellectuellement. À voir dans la bibliothèque au rez-de-chaussée.
Les visiteurs à l’esprit cartésien et ayant quelque connaissances en histoire des sciences, seront plus facilement captivés par les planches aquarelles de Carlos Molina. Voici un jeune artiste venu du Pérou, actuellement en master à la Hochschule der Bildenden Künste Saar (HBKsaar) à Saarbrücken. Ses planches perpétuent la tradition des herbiers. On y voit des « créatures » où se mêlent la fascination pour la beauté et d’étranges mutations. L’Herbarium imaginé par Carlos Molina est fait de corps végétaux armés, aptes à préserver l’écosystème. Souvenons-nous : à la Renaissance, un certain Léonard dessinait des machines de guerre qui sont devenues réalité. Sauf que dans Woven in Vegetal Fabric : On Plant Becomings, le pouvoir change de camp. Si les plantes, dans le future gagneront la bataille contre l’homme, la démonstration créative des artistes est ici, déjà réussie.