Dans le roman culte de Françoise Sagan est bien sûr présente la douleur émotionnelle. Une négativité appuyée par d’autres sentiments, par des actes amoraux et par un va-et-vient entre appétence et inappétence de la vie. D’où parvient néanmoins à filtrer une légèreté jubilatoire et contagieuse. 4711, le dernier roman d’Anne Schmitt, est plein de cette négativité et n’en sort jamais. Lourdeur sans fin. Au fil des deux 256 pages se déverse à flots réguliers de la bile rance. Jouissance impossible. Faute au deuil non accompli de la vie d’avant. Et ce dès la naissance jusqu’à un jour non daté de la vie d’adulte. Ce qui pourrait laisser présager que seul un premier chapitre a été écrit et qu’il en viendra d’autres. 4712 ? 4713 ? etc.
À la place de cette acidité, on aurait préféré sentir les effluves discrets, frais et harmonieux de la fameuse eau de Cologne à base de bergamote, citron, orange, lavande et romarin. Laquelle prête son appellation au titre du roman et donne d’ailleurs lieu à une couverture signée Moritz Ney – la première d’une dizaine d’interventions colorées qui jalonnent la lecture – qui
en représente le flacon élégant. Que nenni ! Chez Anne Schmitt, l’eau de Cologne ne parvient pas à empêcher la transpiration, que l’on imagine sans le moindre mal odorante.
À propos d’Anne Schmitt et de Moritz Ney, ils ne signent pas ici leur première collaboration. L’on dit que les contraires s’attirent. Soit. Mais un proverbe ne peut suffire pas à justifier cette union-ci. Car, malgré les apparences, le yin Anne Schmitt tout en noirceur et complexité et le yang Moritz Ney en couleurs et fluidité ne viennent pas se compléter. Ce vain antagonisme était déjà présent dans le dernier recueil de l’auteure, Je reviens de la plage.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule similitude entre les deux livres. L’écriture de l’auteure ne varie pas d’un iota : lourde, embrouillée, quasi incompréhensible. Anne Schmitt s’essaie aux jeux de mots et aux loufoqueries. Mais, contrairement à Laurence Klopp dans La dame à la mise en plis mauve, sans succès. Même dans des passages de l’enfance qui transitent par le Limpertsberg, on est à mille lieues de la belle nostalgie qui émane de La reine du Lampertsbierg d’Alexandra Fixmer. Et, pour couronner le tout, le récit est relaté par un personnage récurrent dans les livres d’Anne Schmitt, Katerkarlo, le chat. Après tout, pourquoi ne pas donner la parole aux animaux ? Les conteurs et fabulistes parmi les plus brillants l’ont bien fait. Mais encore faut-il que le recours soit justifié, que cela apporte une plus-value. Car, même en admettant que Katerkarlo ait eu des vies antérieures, son regard sage et distancié se serait reflété dans la narration. Le récit dont les éléments semblent plus autobiographiques que fictionnels représente certainement un bienfait thérapeutique pour l’auteure, mais quid des lecteurs ?