Quel type de législation est requis pour endiguer le piratage sur Internet ? Les législateurs américains se sont à nouveau empoignés sur la question cette semaine, lors de la discussion au Comité des affaires juridiques de la Maison des représentants du Stop Online Piracy Act (Sopa), un projet de loi qui entend empêcher l’accès des internautes aux sites de piratage en obligeant par des décisions de justice les fournisseurs d’accès à Internet à modifier les inscriptions correspondantes dans le registre des sites, le DNS. Le ton et le contenu des débats a montré qu’ils sont loin d’un consensus. Les tenants du projet ont estimé que cette loi, défendue par les organisations de majors du cinéma et du disque, est indispensable pour assurer la survie du copyright, tandis que ses détracteurs ont crié à la censure tout en dénonçant son inefficacité et sa dangerosité.
Un des parrains de Sopa a lui-même exprimé des doutes sur la faisabilité technique de la censure de sites pirates proposée par le projet en l’état. Le représentant républicain du Texas Lamar Smith a reconnu qu’il cherchait à comprendre si la méthode proposée était la bonne. Il faut dire que les experts en sécurité informatique entendus par le Comité des affaires juridiques n’ont pas été tendres avec le dispositif central du projet. Les membres de Shinkuro, Georgia Tech, DKH, Verisign et Internet Systems Consortium ont fait valoir que l’introduction de données erronées dans l’annuaire DNS, en réponse à des décisions judiciaires obtenues au nom de la lutte anti-piratage dans le cadre de Sopa, serait non seulement inefficace mais dangereuse pour la sécurité d’Internet. De telles actions « menaceraient l’aptitude du système DNS à fournir un nommage universel, qui est à la base de la valeur d’Internet en tant que réseau de communcation unique, unifié et global ».
Le dispositif litigieux consisterait à empêcher les internautes américains d’accéder à des sites dotés d’adresses en .com, org. ou .net, qui pour les besoins de la cause sont considérées comme des adresses américaines (du fait du contrôle exercés sur ce type de noms de domaine par une organisation américaine). Alors que les protestations des organisations de défense des droits des internautes qui décrient la censure inacceptable que ce projet de loi introduirait ont peu de chances d’être entendues par la Maison des représentants, les objections techniques déboucheront sans doute sur des amendements et pourraient même le mettre en échec.
Dans leur papier, les experts montrent en effet que les modifications envisagées de l’annuaire DNS à des fins de lutte contre le piratage risqueraient d’ouvrir des brèches dans lesquelles pourraient s’engouffraient des hackers pour s’emparer d’adresses Internet et mettre tout ou partie d’Internet à genoux.
Outre ce risque non négligeable, le dispositif central du projet de loi pourrait facilement être contourné par des dispositifs techniques relativement simples. Ainsi, une extension proposée aux utilisateurs du navigateur Firefox, Mafiaafire, propose de rerouter vers des adresses alternatives les requêtes vers des sites dont les adresses de premier niveau auraient été bloquées. Le ministère de l’Intérieur des États-Unis a d’ailleurs demandé en mai dernier à la Fondation Mozilla, éditrice du navigateur, de retirer cette extension. Ce que la Fondation a refusé, demandant à l’administration si elle considérait l’extension comme illégale et à quel titre elle était censée la retirer. Mafiaafire reste en ligne et a été télé-chargé plus de 17 000 fois à ce jour. Le projet de loi autoriserait le procureur général à bloquer de tels dispositifs de contournement.
La Maison des représentants, contrôlée depuis les élections de 2010 par les Républicains, finira-t-elle par adopter cette loi ? Sans doute pas en l’état, car au-delà de l’objection citoyenne à la censure, le projet semble mal ficelé voire dangereux sur le plan technique. Un représentant de Google, auquel certains parlementaires ont reproché de ne pas retirer spontanément de leurs résultats de recherche les adresses vers des sites proposant des contenus piratés, a rétorqué que le projet de loi intro-duit des « sanctions sévères et arbitraires sans procédure judiciaire appropriée ».