« Nous avons la profonde tristesse d’annoncer que Steve Jobs est décédé. L’intelligence, la passion et l’énergie de Steve ont été la source d’innombrables innovations qui enrichissent et améliorent nos vies à tous. Le monde est incommensurablement meilleur à cause de Steve. Son plus grand amour allait à sa femme, Laurene, et à sa famille. Nos pensées vont à eux et à tous ceux qui ont été touchés par ses dons extraordinaires ».
Le faire-part de décès diffusé la semaine dernière par Apple a causé un choc et beaucoup d’émotion à travers le monde, des médias aux blogs et réseaux sociaux, qui ont surpris même les plus inconditionnels de ses fans. Au point que l’ampleur et le contenu de cette réaction sont devenus un objet d’analyse à leur tour : un phènomène que certains ont comparé à ce qui s’est passé après la mort de Michael Jackson. Le décès de Steve Jobs, affecté d’une forme rare de cancer du pancréas depuis cinq ans et qui en était à son troisième arrêt de maladie, était pourtant bien moins surprenant que celui du chanteur. Mais l’affection et l’admiration voués à l’inventeur et entrepreneur infatigable ont fait en sorte que les hommages à Steve Jobs ont afflué du monde entier, des chefs d’État aux internautes les plus modestes, avec très souvent des commentaires montrant à quel point le lien fort entre les consommateurs et leurs objets Mac ou Apple était aussi associé à la personnalité du défunt.
Les journaux ont aussi mis en avant les propos des dirigeants des grands concurrents d’Apple, comme ceux de Bill Gates, son « meilleur ennemi »: « J’ai rencontré Steve il y a près de 30 ans. Nous avons été collègues, compétiteurs et amis pendant plus de la moitié de nos vies. Le monde a rarement vu quelqu’un avec un impact aussi profond que Steve a eu, les effets seront sentis par les générations futures. Il me manquera énormément ».
Ou le cofondateur de Google, Sergey Brin : « Dès les premiers jours de Google, quand Larry et moi cherchions de l’inspiration pour une vision et un leadership, il suffisait de regarder à Cupertino (la ville du siège d’Apple, située à quelques kilomètres du siège de Google à Mountain View, ndlr.). Steve, ta passion pour l’excellence a été ressentie par quiconque a touché un produit Apple, comme ce Macbook sur lequel j’écris en ce moment ».
Ou encore Mark Zuckerberg, patron de Facebook : « Steve, merci d’avoir été un mentor et un ami. Merci d’avoir montré que ce que tu as construit peut changer le monde. Tu me manqueras ». Les plus in[-]conditionnels des admirateurs de Steve Jobs, revenant sur ses qualités de visionnaire et de dirigeant au charisme exceptionnel, l’ont dépeint sous des traits pratiquement messianiques.
Mais l’enthousisasme et l’admiration sans borne exprimés dans ces innombrables hommages ont fini par en agacer d’autres, qui ont rappelé que certains aspects de la personnalité n’étaient pas si sympathiques ou positifs que ça. Par exemple son style de management, volontiers qualifié d’autocratique, quand bien même cette caractéristique était mise sur le compte de son perfectionnisme. Une autre critique volontiers émise, en contrepied au concert hagiographique, a été l’approche volontiers hégémonique et exclusive d’Apple, fréquemment mise en rapport avec le caractère de Steve Jobs.
La volonté de contrôler ce que les consommateurs font des produits vendus par Apple a débouché sur des objets innovants et fiables, ainsi que sur un attachement sans faille des clients à la marque. Cette démarche s’est avérée gagnante au plan commercial, mais, même parmi les utilisateurs de Macbooks et d’iPhones, nombreux étaient ceux qui reconnaissaient retrouver dans le caractère quelque peu cloisonné et exclusif de leurs objets la patte du fondateur de la marque à la pomme : celle du control freak.
Et parmi les défenseurs des logiciels libres, certaines menées de Steve Jobs ont causé des ressentiments tenaces. Richard Stallman, un des hérauts de l’Open Software, a ainsi critiqué les restrictions imposées par Apple sur ses appareils, notamment en ce qui concerne les fichiers de musique, et sur les violations répétées de la sphère privée. « Steve Jobs, le pionnier de l’ordinateur en tant que prison rendue cool, conçue pour priver les imbéciles de leur liberté, est mort », a-t-il écrit, acerbe, sur son blog.
Mais des voix discordantes se sont fait entendre jusque dans le New York Times. David Streitfeld y a publié un article rapportant le caractère implacable de Jobs, qu’il a décrit comme le « grand tyran ». « [Steve Jobs] était si sûr de lui qu’il était parfois impossible de distinguer ce trait de caractère de l’arrogance et de l’auto-promotion. On raconte qu’à une fête Halloween d’Apple au cours des premières années bohèmes, on dit qu’il est venu déguisé en Jésus, » a-t-il rapporté. Pour ajouter, cependant : « Mais c’était une arrogance tempérée par sa foi en la capacité de la technologie à améliorer la vie ».