À la 66e Assemblée générale des Nations Unies qui se déroule en ce moment à New York, quatre États ont écrit au Secrétaire général pour lui proposer un « Code de conduite international pour la sécurité de l’information ». Les quatre États sont la Russie, la Chine, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Ils demandent que l’Assemblée adopte une résolution appelant de ses vœux un tel Code, auquel l’adhésion serait volontaire. La lettre, à la fois édifiante et risible, comprend des formulations creuses sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Mais son objectif est évidemment ailleurs : à travers cette initiative, les quatre États entendent reprendre la main sur un médium dont le contrôle leur échappe. Elle démontre, a contrario, que le Net reste un univers de liberté et une menace pour les régimes dictatoriaux ou autoritaires, ce qui est en fin de compte rassurant. Objectif déclaré : lancer un débat aux Nations Unies pour parvenir à un « consensus sur les normes et règles internationales guidant le comportement des États dans l’infosphère ».
Le préambule de la résolution proposée assène que « l’autorité politique pour les affaires publiques liées à Internet est le droit souverain des États ». Une affirmation qui relève davantage de la pétition de principe que du constat, tant il est vrai que la gouvernance du Net est loin de pouvoir être circonscrite aux souhaits des ministères de l’information et autres officines gouvernementales.
Le véritable objet de l’initiative est révélé dans la phrase suivante : il s’agit d’exprimer le soutien des signataires au « combat contre les activités criminelles et terroristes qui utilisent les technologies de l’information et de la communication, y compris les réseaux ». Les États s’engagent à ne pas utiliser des outils Internet pour « mener des activités hostiles ou des actes d’agression ». Un objectif particulièrement ironique venant de la République populaire de Chine, qui, selon des informations persistantes, emploie systématiquement des hackers peu scrupuleux à des fins idéologiques. Les signataires s’engagent à « réprimer la dissémination d’informations qui incitent au terrorisme, à la sécession, ou à l’extrémisme, ou qui minent la stabilité politique, économique et sociale, de même que leur environnement spirituel et culturel ». Plus loin, il est question de la « responsabilité des gouvernements à engager tous les éléments de la société (…) à comprendre les rôles et responsabilités en matière de sécurité de l’information ».
Toute la résolution est rédigée dans un langage vague de cet acabit, et ce n’est pas un hasard. N’oublions pas le rôle du Net et des réseaux sociaux dans l’avènement du printemps arabe. Il est aisé d’imaginer que les régimes autocratiques signataires de cette lettre entendent se prémunir contre une contagion du phénomène à leurs populations. Malgré le caractère optionnel qu’ils entendent donner à leur Code de conduite, il est clair qu’il serait utilisé comme moyen de pression par des gouvernements inquiets de tout ce qui ressemble à de la subversion.
Le magazine en ligne Ars Technica, qui a été le premier à rapporter, pour le démonter, ce projet, cite un professeur d’université et spécialiste de la gouvernance Internet, Martin Mueller. Le passage sur la répression de la dissémination d’informations reviendrait selon lui à donner « à n’importe quel État le droit de censurer ou de bloquer les communications internationales pour pratiquement n’importe quelle raison ». Cela vaut en particulier pour la mention de « l’environnement spirituel et culturel » qui pourrait même, selon lui, être utilisée à des fins protectionnistes dans le secteur culturel.
L’adoption de cette résolution pourrait donc déboucher sur des conséquences dévastatrices pour Internet, en justifiant n’importe quelle initiative répressive de la part des régimes autoritaires. Heureusement, la démarche de ces quatre régimes autocratiques est cousue de fil blanc, et il fait peu de doute qu’elle est mort-née.