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Collusion pour manipuler le prix des e-books ?

d'Lëtzebuerger Land du 12.08.2011

Une action en justice de type « class-action » auprès d’un tribunal de Californie se propose de démontrer que quatre maisons d’édition et Apple ont agi de concert et de manière illégale pour forcer Amazon à augmenter le prix de ses e-books au-dessus du prix de référence de 9,99 dollars. Selon l’un des avocats qui mènent cette action, Steve Berman, les compagnies impliquées dans cette collusion anti-compétitive sont les éditeurs HarperCollins, Hachette Book Group, Macmillan, Penguin Group et Simon [&] Schuster, ainsi qu’Apple. « Nous nous proposons de démontrer qu’Apple avait besoin d’un moyen de neutraliser le Kindle d’Amazon avant que sa popularité ne puisse constituer un défi pour l’introduction à venir de l’iPad, un appareil qui dans l’esprit d’Apple devait être en concurrence [avec d’autres appareils] en tant qu’e-reader », explique Berman.

L’affaire remonte à l’introduction du Kindle en 2007, le premier e-reader dédié lancé sur le marché. Fort de son avantage, le géant du commerce en ligne souhaitait imposer un modèle de prix bas qui allait forcer les autres intervenants à adopter une structure tarifaire similaire pour leurs produits à venir. Une idée qui avait tout pour déplaire aux éditeurs traditionnels, qui comptaient transposer au monde digital les structures de prix ayant fait leur fortune dans l’univers du papier. Dans son communiqué de presse, Berman postule qu’en s’associant à ces quatre maisons d’édition et à leurs efforts pour empêcher Amazon de continuer avec ses prix jugés trop bas, Apple adoptait un comportement « détestable » en ce qu’il revenait à « juguler la puissance de l’innovation, justement ce dont [il] se veut le champion ».

Comment prouver une telle collusion ?

Il y a d’abord le fait que les prix des e-books proposés par Amazon ont bel et bien augmenté peu après l’introduction du Kindle, pour s’établir autour de 12 à 15 dollars. Mais cela ne prouve pas nécessairement qu’il y ait eu pratique anti-compétitive. Berman cite des extraits d’une conversation que le patron d’Apple, Steve Jobs, a eue avec Walt Mossberg, journaliste au Wall Street Journal, lors du lancement de l’iPad à San Francisco en 2010. Pour mémoire, le modèle retenu par Apple pour les achats effectués par les consommateurs depuis un iPad prévoit une commission de 30 pour cent que les revendeurs doivent céder à Apple. Walt Mossberg demande à Steve Jobs pourquoi les consommateurs devraient acheter tel livre sur leur iPad à 14,99 dollars alors qu’ils pourraient l’acquérir pour cinq dollars de moins sur Amazon. « Cela ne sera pas le cas », réplique Steve Jobs. Et lorsque Mossberg revient à la charge, souhaitant comprendre si c’est Apple qui ne sera pas à 14,99 dollars ou eux qui ne seront pas à 9,99 dollars, Jobs répond : « Le prix sera le même. Les éditeurs peuvent refuser de mettre leurs livres sur Amazon. Ils sont mécontents ».

Et Berman de conclure de ce bref dialogue qu’« à moins qu’Apple n’ait été au courant de la conspiration illégale et n’y ait participé, Steve Jobs n’aurait pas pu prédire la future structure des prix des e-books avec une telle surprenante précision ». Pour avoir une chance d’être qualifiée en tant que class-action, cette plainte doit émaner de consommateurs lésés : deux personnes ayant acheté des e-books à des prix supérieurs à ceux annoncés initialement par Amazon sont citées. Steve Berman et ses collègues parviendront-ils à faire reconnaître qu’il y a eu comportement anti-concurrentiel de la part de ces cinq intervenants ? La plainte, disponible en ligne sur le site de la firme Hagens Berman, fait appel à une série d’autres indices et arguments invoquant différents aspects du droit de la concurrence. Quelle qu’en soit l’issue, l’affaire s’annonce en tout cas très intéressante pour comprendre les dessous de la fixation des prix des livres électroniques, à la structure de coûts sensiblement différente de celle des livres papier, puisque les coûts de fabrication et de distribution, considérables pour ces derniers, sont très bas pour les premiers.

Jean Lasar
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