Parmi les publications qui couvrent l’actualité du Net et des technologies de l’information et de la communication, le blog Tech Crunch s’est taillé une solide réputation, grâce notamment à un flux détaillé de nouvelles sur les financements obtenus par de jeunes pousses du secteur. L’audience de Tech Crunch lui a valu de se faire racheter par AOL l’an dernier, une transaction lors de laquelle le fondateur et directeur de la rédaction, Michael Arrington, est resté en place, continuant de diriger le magazine et de publier des articles et éditoriaux à un rythme soutenu. Cette semaine, la situation a radicalement changé, avec son départ de son poste de directeur de la rédaction qui fait suite, semble-t-il, à la création d’un fonds de financement de start-ups technologiques de vingt millions de dollars la semaine précédente, Crunch Fund, dirigé par ce même Michael Arrington.
Peut-on à la fois être rédacteur en chef d’une publication couvrant, en premier lieu, les transactions de financement relatifs à la haute technologie et administrer un fonds intervenant précisément dans ce secteur ? Non, évidemment, du moins dans une logique traditionnelle. À priori, la situation d’Arrington illustre le conflit d’intérêt dans toute sa splendeur, l’ultime contradiction pour un journaliste censé prétendre à l’objectivité, alors qu’en pratique, tout ce qu’il écrit peut être suspecté de servir ses intérêts en tant qu’investisseur.
Le départ de Michael Arrington n’a pas donné lieu à une communication très claire de la part des parties concernées. L’information a été révélée par le magazine Fortune. Ce même magazine, annonçant plus tôt la création de Crunch Fund, avait précisé qu’AOL figurait parmi le tour de table initial de Crunch Fund à hauteur de huit millions de dollars. Un porte-parole d’AOL a par la suite indiqué que Michael Arrington avait été remercié. L’intéressé a peu après publié un plaidoyer sur Tech Crunch, exigeant qu’AOL rende son « indépendance éditoriale » à Tech Crunch et que le blog soit revendu à lui et à des partenaires. Il semble toutefois que les dés soient jetés, avec la nomination officieuse d’un directeur de la rédaction par intérim. Les blogs technologiques s’interrogent sur le rôle dans cette affaire d’Arianna Huffington, la responsable éditoriale d’AOL, qui a en toute logique été consultée sur la création du fonds de Michael Arrington et y a acquiéscé, avant de changer d’avis. Sans doute après avoir relu le code de conduite auxquels souscrivent les journalistes du groupe AOL et mesuré les dégâts pouvant être causés par sa violation flagrante que constituait la double casquette du responsable de Tech Crunch.
Le mélange des genres dans la sphère du journalisme technologique est-il inhérent au secteur, et reflète-t-il un univers où tout un chacun serait à la fois consommateur, journaliste-blogueur, investisseur et entrepreneur ? Michael Arrington en tout cas semble assumer sans complexe ces contradictions. Il a affirmé que ses choix en tant que responsable du fonds n’affecteraient en rien les choix éditoriaux de son blog. Il est permis d’en douter : on a ainsi rapporté qu’il avait lors d’une rencontre professionnelle menacé des responsables de sociétés hi-tech de les ignorer à l’avenir sur Tech Crunch s’ils ne lui fournissaient pas des informations exclusives. Il faut dire que Michael Arrington est un enfant terrible de la scène hi-tech. Né en 1970, il a commencé sa carrière comme avocat, avant de se lancer dans le chaudron des startups californiennes en tant qu’entrepreneur, puis comme « venture capitalist ». Le blog Tech Crunch, qu’il a créé en 2005, est rapidement devenu une référence – il a fait mieux que certains des projets pionniers de la Silicon Valley auxquels il a été associé. Au vu de son parcours flamboyant et mouvementé, on pressent que Michael Arrington n’a pas dit son dernier mot.