Le réseau Anonymous et le cartel mexicain de la drogue Los Zetas ont été ces dernières semaines les protagonistes d’échanges étonnants comprenant des allégations d’enlèvement, des menaces de révélations sur les narco-trafiquants, auxquelles ont répondu des menaces de rétorsion de la part de ces derniers, et pour finir la décision des activistes d’Anonymous de renoncer à leurs menées anti-gang. Que peuvent faire les militants du Net contre les réseaux criminels mexicains, connus pour leur violence et leur cruauté ? À l’issue de cet épisode, la réponse qui s’impose, du moins pour l’instant, est pas grand-chose.
L’affaire commence sur les canaux de chat fréquentés par les membres d’Anonymous, avec l’information selon laquelle un membre d’Anonymous aurait été enlevé par Los Zetas à Veracruz, une ville côtière mexicaine connue pour le niveau élevé des violences qui y sont perpétrées sur fond de rivalités entre cartels. La ville a été jonchée de douzaines de cadavres ces derniers mois. Des hacktivistes d’Anonymous décident alors de lancer une opération contre les auteurs de cet enlèvement supposé, en publiant sur Internet les noms de soutiens et collaborateurs de ces trafiquants. Anonymous a mené ces derniers mois des actions contre des institutions financières pour avoir bloqué, à la demande de l’administration américaine, les versements de sympathisants au réseau de révélations en ligne Wikileaks.
Toutefois, il existe des différences notables entre les actions de soutien à Wikileaks et l’offensive envisagée contre Los Zetas. D’abord, comment séparer le grain de l’ivraie ? Dans la vaste foire aux rumeurs, établir les faits, alors qu’aucun des intervenants ne parle à visage découvert, n’est pas simple. Alors qu’Anonymous avait publié sur Youtube un clip lançant un ultimatum contre les trafiquants, des doutes sur la réalité de l’enlèvement d’un de ses membres sont apparus : impossible de l’identifier ni même d’établir un récit cohérent corroborant la thèse de l’enlèvement. Ensuite, le cartel a réagi de manière bien plus brutale que les institutions financières ciblées par Anonymous pour leur soutien au boycott de Wikileaks : il a fait savoir qu’il avait recruté des experts spécialisés pour se prémunir contre toutes révélations dommageables à leurs affaires. Une agence de sécurité, Stratfor, a estimé que celles-ci pousseraient Los Zetas à répondre par des violences, y compris « enlèvement, blessure et mort » pour leurs auteurs.
Des rumeurs terrifiantes qui ont été comprises immédiatement par les membres d’Anonymous associés à l’« #OpCartel », pour Opération Cartel. Qui se sont souvenus que ces derniers temps, les cartels mexicains ont déjà montré ce qu’ils font de ceux qui choisissent de dévoiler des détails sur leur organisation sur Internet : ils les assassinent, en toute simplicité. En septembre dernier, les policiers de la ville de Nuevo Laredo, à la frontière avec les États-Unis, ont découvert le corps d’une femme decapitée accompagné d’une note manuscrite expliquant qu’elle avait été tuée pour avoir publié des informations sur un réseau social. Le message était signé d’un Z, la marque de fabrique de Los Zetas. Deux autres cadavres découverts dans la même ville, pendus à un arbre, étaient accompagnés d’une note prévenant tout un chacun que tel est le destin qui attend les dénonciateurs utilisateurs du Net.
Anonymous est-il suffisamment bien organisé pour s’en prendre aux organisations criminelles comme Los Zetas ? Sans doute pas. Publier sans risque d’erreur les noms de collaborateurs des réseaux de narco-trafiquants suppose un travail de police que le réseau de hackers n’est pas en mesure d’effectuer. Publier des rumeurs infondées peut faire le jeu des gangs, spécialistes des coups tordus, et mettre en danger des vies de personnes non mêlées aux agissements criminels. Enfin, par définition, les réseaux de trafiquants opèrent dans l’ombre, et les cyber-attaques, de déni de service par exemple, dont Anonymous s’est fait une spécialité, n’ont pas de prise sur eux. La lutte d’Anonymous contre Los Zetas part d’un bon sentiment, mais pour l’heure, les hackers seraient bien conseillés de ne pas s’élancer à mains nues contre ces tueurs. Et ils ont bien fait d’avoir renoncé à #OpCartel.