CD Migration de Takka Takka

Lili is NY

d'Lëtzebuerger Land du 18.11.2010

Si le web et les marchés virtuels, engendrés par celui-ci, permettent à une multitude de choses d’être à portée d’un clic de souris, les marchés physiques subissent encore d’incompressibles contraintes, tant géographiques qu’au niveau des délais qui s’écoulent. C’est ainsi que la quatrième signature du label differdangeois Lili is Pi, Takka Takka sort son deuxième album, Migration, sur la structure luxembourgeoise, près de deux ans après une parution initiale aux States. À l’heure où cette durée aura déjà fait rebrousser plus d’un buzzeur patenté, Lili is Pi et Takka Takka n’ont que faire de jouer au jeu du qui est in, qui est out.

Basé à New York, ce groupe aligne fraîcheur, intemporalité et curiosité, éléments qui permettent, dans le bon dosage, d’éviter une date de péremption bien précise. La Grosse Pomme et sa mixité de cultures se profile d’ailleurs, tout en pointillé, dans la musique du quatuor. En effet, leur indierock, sobre et élégant, n’hésite pas à aller piocher des inspirations en dehors des sentiers battus, que ce soit du côté du continent africain (plus en filigrane que leurs voisins de Vampire Weekend), voire même quelques éléments de Gamelan balinais (moins prononcés néanmoins que chez le grand groupe oublié Macha). Ce parti-pris place Takka Takka à la croisée de deux formations issues de la fourmilière newyorkaise, les influents Talking Heads (très flagrant sur Home-breaker), pour l’ouverture d’esprit dans un cadre aussi dansant que cérébral et The National, pour un intimisme en clair-obscur, par ailleurs anciens compagnons de tournées.

À ce titre, Bryan Devendorf, batteur des précités, vient donner quelques coups de baguette sur Monkey forest road, qui ouvre le bal de manière onirique, vite rattrapé par des couches de percussions asiatiques, des ostinatos en cocottes de guitares hérités d’Afrique auxquelles viennent s’ajouter une basse toute en distorsions ainsi qu’un piano déroutant. Le tout constitue une belle entrée en matière, versant dans l’inquiétant, tonalité qui ne sera plus trop abordée durant l’album, Takka Takka préférant d’autres humeurs plus relâchées. Autre invité de marque, Lee Sargeant de Clap Your Hands Say Yeah! produit l’album.

Tout au long de l’album, on retrouve un rythme indolent, qui privilégie autant les mouvements lascifs du bassin que les rêves éveillés du chanteur Gabe Levine, qui d’une voix blanche toute en retenue, parvient à émouvoir. Comme sur One foot in the well, qui sur un rythme discret et nonchalant, hypnotise. Autre moment fort de l’album, Change, no change et son mellotron enflant le morceau, pourtant porté par des guitares acoustiques jusqu’à l’entrée du groupe qui se fait un plaisir de renforcer la nostalgie déjà présente. De même, la ballade crépusculaire You and universe est jouée avec beaucoup d’à propos et de feeling. Mais que dire de Silence et ses saccades ultra-rythmés qui aboutissent à un magnifique chorus fiévreux, que n’aurait pas renié The National. Quant à l’emballant The takers, il joue à cache-cache avec un entraînant uptempo, sur des lignes claires de guitares et un synthétiseur aux sonorités enveloppantes comme un duvet chaud.

Seul regret (minime), le groupe, trop réfléchi, dégage un peu moins de conviction que sur scène, où il excelle, relâchant sur le terrain du live quelque peu cette distanciation dominant l’album et laissant alors parler ses émotions et son énergie bien canalisée (à titre de comparaison, allez écouter les versions de certains de ses morceaux sur www.daytrotter.com).

Une fois de plus, la petite équipe de Lili is Pi a eu le nez fin en allant rechercher une perle, un peu enfouie, sous l’amas de sorties incessantes.

Pour plus d’informations : www.lili-is-pi.com, www.myspace.com/takkatakka, et www.takkatakkamusic.com.
David André
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