Si le hiphop luxembourgeois demeure encore et toujours marginalisée par rapport à d’autres courants, le groupe De Läb a pourtant réussi à atteindre un certain degré de notoriété, grâce à un particularisme certain, qui les a vu se démarquer assez vite depuis leurs débuts en 2006 : ils scandent leurs textes en luxembourgeois. Arme à double tranchant, car si le duo composé de Corbi et de David Fluit bénéficie d’un notable suivi local et se voit proposer des projets bankables (comme notamment, une présence à l’expo de Shanghai), il se disqualifie sciemment et irrémédiablement en dehors de nos frontières. Rencontre avec David Fluit, le DJ rappeur de la bande.
d’Land : Après trois EPs, dont un de remix, ainsi qu’une visibilité tant scénique que radiophonique, beaucoup voient en vous la pointe de l’iceberg hiphop luxembourgeois.
David Fluit : C’est vrai qu’on nous passe à la radio pour l’instant – sauf à RTL, ce qui pourrait aussi changer avec la reprise d’un morceau de Fausti que l’on doit faire pour une compilation de Planet RTL Reloaded. Il y a bien une scène hiphop locale, on ne peut pas parler de communauté comme telle. C’est un peu le chacun pour soi. Ici, on est influencé par les grands mouvements, donc il n’y a pas vraiment de synergie. De plus, comme on est issu des classes moyennes comme beaucoup de gens faisant de la musique, même dans le hiphop, on n’est pas spécialement envie de faire comme si on sortait d’un ghetto urbain, alors que nos modes de vie en sont éloignés. C’est aussi pour cela que nos rappons en luxembourgeois, c’est une question de crédibilité à nos yeux. Pour la même raison, les sujets traités dans nos textes évoquent ce mode de vie et les préoccupations de la middle class autochtone comme aller au bal, etc…
Vos textes, justement, par ce côté « tranches de vie du Luxembourg », reflètent un intérêt anthropologique, voire même sociologique, ce qui a aussi abouti à une collaboration avec le Colombien Francisco Camacho, artiste actuellement en résidence au Casino – Forum d’art contemporain (voir ci-contre).
Oui, nous avons écrit un morceau en nous inspirant des entretiens qu’avait accumulés Francisco. Sa seule ligne directrice nous dictait d’avoir un esprit critique, ce qui nous arrangeait bien… Den Daag vun der opener Dier part d’une métaphore où le Luxembourg est une petite maison avec façade où la Gëlle Fra nous accueille. Cette collaboration fut une nouvelle expérience et ce morceau se retrouvera dans le catalogue de Francisco, peut-être aussi sur notre nouvel album…
Qu’est-on en droit d’attendre d’un album de De Läb ?
On y bosse depuis quelques mois et si tout va bien, l’album devrait voir le jour courant 2011. On aimerait beaucoup avoir des invités qui ne proviennent pas du milieu hiphop. Collaborer avec d’autres gens nous semble primordial. Même si le crate digging (littéralement l’accumulation de la poussière issue des bacs de disque sous ses ongles, autrement dit la recherche de vieux beats et autres samples millésimés, ndlr.) et le turntablism (musique créée grâce aux platines et aux vinyles, ndlr.) restent quelque chose qu’on adore faire. Nous aimons cette idée de faire du neuf avec du vieux. Ainsi les influences pour ce disque incorporent aussi bien du jazz, du funk, du blues que du krautrock, du psychédélisme ou des bandes originales italiennes. Pour le live, on s’est étoffé avec la venue de DJ Lomki, du batteur Mike Blueprint et du bassiste René Macri. On aime bien expérimenter.
D’où votre patronyme De Läb, pour laboratoire ?
Oui et non, c’est vrai qu’on peut y voir une association, mais le choix du nom est une référence directe à notre premier local de répétition qui servait aussi de laboratoire de développement de photos à un de nos parents…
Qu’en est-il de Brach, cet autre projet impliquant de Läb ?
Pour Brach, nous avons été contacté par Fred Baus aka Airstrip One/Projet M et Tim Lecomte aka Loose Body Parts (qui, tous les deux, avaient remixé de Läb dans le passé, ndlr.), avec cette idée de représenter le Luxembourg pour l’Expo mondiale (ils seront sur place pendant une dizaine de jours). Ce fut un peu un saut dans l’inconnu. Mais rapidement, nous tombâmes d’accord sur le concept thématique. Nous allions raconter une histoire imaginaire et linéaire retraçant notre futur périple asiatique sur des musiques produites par Fred et Tim.
Les maquettes ont circulé assez vite. Cette unité thématique était aussi nouvelle, il fallait construire une narration cohérente pour une dizaine de morceaux, même s’il subsiste encore des moments de freestyle. On aime aussi l’idée que le projet sera finalisé avec la sortie d’un album, doublé d’un DVD réalisé par Fred Neuen et Ben Andrews, qui nous accompagnent. On prend à rebours le cheminement habituel, qui est de sortir les morceaux, puis de faire des concerts. Ici, on fait d’abord les concerts, on sort le CD et on se sépare au moment de sa sortie.
Vous avez un agenda pour le moins chargé !
Oui, sans oublier les workshops auxquels on participe ! Tout d’abord, on travaillait avec des maisons de jeunes, mais cela s’est étendu à des lycées comme Bonnevoie ou Rédange, pour en citer deux. Là, on participe à des pièces de théâtre ou encore des projets qui s’étalent sur un an comme le Rap Marathon, qui implique des jeunes de l’enseignement préparatoire. On est conscient de l’importance de telles initiatives. Ici, en encourageant ces jeunes à écrire leurs textes, et voire évoluer ceux-ci, on les coache aussi dans leur performance, car au final, ils présenteront leurs morceaux lors d’un concert. Personnellement, je trouve cela très excitant, d’apprendre ou d’enseigner par des voies « détournées », qui sortent du schéma classique.