C’est une parenthèse inattendue et plus que bienvenue dans le paysage musical autochtone. Michel Reis vient de publier un nouvel album en solo, Short Stories. Il fait directement suite à Mito, un précédent album live d’improvisations paru en 2018 et réservé au marché japonais. Celui qui arpente le globe avec ses compères Marc Demuth et Paul Wiltgen s’est aussi construit un univers personnel et singulier. Short Stories est un recueil de nouvelles musicales, fruit d’une union aussi passionnée que passionnante entre le musicien et son instrument aux 88 touches. Enregistré en Italie en février dernier et paru sur le label Cam Jazz, son onzième opus se compose de quatorze titres, dont six sont basés sur des improvisations. Sur la pochette, une photographie en noir et blanc de l’artiste signée Elisa Caldana. Un concert de lancement dudit projet a eu lieu jeudi 3 octobre à Opderschmelz. Retour sur l’évènement et sur le contenu du disque.
Les sièges, en rangs devant l’estrade, sont tous occupés quelques minutes avant le début du concert. Les retardataires sont priés d’aller s’installer à l’étage. De là, la vue est imprenable. Michel Reis est en duo avec son instrument sur la scène du grand auditoire. Cet instrument, c’est un piano Steinway qu’il pointera du doigt à de nombreuses reprises, invitant les spectateurs à l’ovationner. Une heure trente durant, le pianiste va réciter les compositions et improvisations – qu’il va réinventer – extraites de Short Stories. Cet album justement s’ouvre avec Sunae II, une introduction toute en douceur et pleine d’espérance. Le titre a eu droit à un clip signé Yasuharu Hoshino dans lequel on découvre des plans en noir et blanc d’une banlieue de Tokyo. En écoutant l’album, on ne peut s’empêcher de penser à L’homme qui marche de Jirō Taniguchi. Dans ce roman graphique qui magnifie le silence et les plaisirs simples, le lecteur suit un héros à lunettes qui flâne dans les alentours d’une grande ville nippone, un peu comme Michel Reis qui poursuit un parcours atypique, humble et rêveur.
Le titre suivant From the eyes of old, un des plus beaux du projet, annonce la couleur du disque. Le morceau développe des répétitions entêtantes. Une musique cinématographique portant la patte du musicien, avec un piano qui s’éloigne du jazz pur sucre et qui se suffit à lui-même. How it all began est construit sur le même schéma. Le titre a d’ailleurs été clippé par Émile V. Schlesser. On y suit Michel Reis dans une maison pleine de brumes et de souvenirs. Suit Monologue, un morceau déconstruit avec une multitude d’idées contradictoires et qui porte ainsi bien son nom. Could I see you again ensuite, est un merveilleux titre classique qui repose sur un son en mouvement constant. S’ensuivent Gratitude, court et illustratif, Road to Dilijan, délibérément hésitant, Gravity and Lightness, plein de mystère ou encore Awakening, qui permet à l’artiste d’improviser longuement sur scène. Autre morceau marquant, Eleni, joli hommage à Eléni Karaindrou, compositrice des films du géant Theo Angelopoulos, palme d’or 1998 et tragiquement disparu en 2012.
Sur scène, Michel Reis est habité. Sa performance est magnifiée par des effets de lumière de bon goût. Le ventre du Steinway, délicatement éclairé se met à rougir lorsque le musicien s’emballe. Il se lève parfois de son tabouret pour donner de l’impact à son jeu. Lors d’une admirable improvisation, il tapote du pied et chantonne si fort qu’il en devient un métronome humain. L’audience croirait entendre de nouveaux musiciens, cachés derrière le rideau. Le personnage de Taniguchi observe des oiseaux, s’allonge sous un arbre ou se baigne nu dans une piscine publique fermée. Michel Reis, fait quant à lui défiler une palette de souvenirs et de sentiments avec la même absence de gravité, le même goût du partage des choses simples. Il joue comme il marche et donne l’impression de jouer comme il vit. Le pianiste est chaudement applaudi. Deux rappels sont donnés.