Benoît Martiny trône au centre de la scène. Derrière lui, un large gong suspendu. Au-dessus encore, un écran sur lequel sont diffusées des images de kaléidoscopes en mouvement. Itaru Oki fait siffler sa flûte double, pilotant ainsi une locomotive spatiale imaginaire. Son jeu de charmeur de serpent envoûte l’audience. Directement à sa gauche, Michel Pilz est à l’affut. Ces trois-là avaient déjà accouché en décembre 2017, à l’occasion des dix ans du centre Opderschmelz, de l’un des meilleurs concerts de jazz made in Luxembourg de ces dernières années. En ce samedi 2 mars, le trio fait partie d’un plus grand ensemble, le Benoît Martiny Band & The Grand Cosmic Journey, qui irradie la petite scène de l’espace Découverte de la Philharmonie. Au même moment, est diffusé dans le grand auditorium un film de Ernst Lubitsch pour un ciné-concert. Mais ce soir, c’est bien au sous-sol de l’institution qu’a lieu l’évènement majeur. Moons of Uranus, c’est le nom du projet concocté par le batteur autochtone. Pour l’occasion, il est accompagné par une musicienne et neuf musiciens. Onze artistes, onze space travelers pour autant de personnalités distinctes mais complémentaires.
Retour quelques minutes avant le début du show. Le concert a été annoncé sold out et en effet, la limitée mais ambitieuse salle d’expérimentation est pleine à craquer. Des livrets ludiques présentant le projet ont été distribués. On y apprend que la pièce, créée pour l’occasion, se compose de sept chapitres dont le premier The world goes to shit but still you play that jazz démarre en trombe. Renata van der Vyver est au violon, Jean Bermes donne de sa voix, Steve Kaspar est à la création sonore, Leon den Engelsen au clavier, Jasper van Damme au saxophone alto, Joao Driessen au saxophone ténor, Frank Jonas à la guitare, Sándor Kém à la section basse, Michel Pilz à la clarinette basse, Itaru Oki à la trompette et aux flûtes et, enfin, Benoît Martiny est aux percussions. Sont projetées des images industrielles de plateformes pétrolières ou bien une visite en accéléré de Times Square, tout ça pour illustrer une certaine décadence occidentale. Le rythme de la musique est effréné, du jazz rock primitif mais mélodique. Le tout est ponctué par de courtes parenthèses reggae du meilleur effet.
Départ vers l’espace, avec les images du décollage d’une fusée pour une musique teintée d’optimisme, mais très vite contenue. La contrebasse de Sándor Kém, vêtu d’un costume gris métal pour l’occasion, les effets binauraux de Steve Kaspar ainsi que le chant tribal et diphonique fourni par Jean Bermes et sa puissante voix de baryton-basse, en imposent. On pense à la lancinante scène finale de Koyaanisqatsi et à sa musique signée Philip Glass. Les artistes se révèleront chacun leur tour tout du long du concert, alternant les moments quasi orchestraux et les longs solos. Le violon de Renata van der Vyver, bien qu’assez souvent en retrait, apporte une touche astucieuse et se fond parfaitement dans le cortège de cuivres. Différentes ambiances se succèdent, aussi bien dans la musique que dans l’imagerie. L’aspect cosmique, clairement mystique et psychédélique, qui faisait malgré tout défaut au précédent projet de la formation, est bien présent. On pense encore à certains projets du Greg Foat Group et à ses titres patinés et planants.
Ils sont nombreux, ceux qui ont tenté de retranscrire l’immensité de l’espace et tout ce qui s’y rapporte en musique. De Gustav Holst à Pink Floyd en passant par David Bowie et par Sun Ra. Ce dernier, légende jazzesque et véritable gourou cosmique se prétendait originaire de Saturne. Benoît Martiny consacre quant à lui Uranus et ses satellites naturels, dont leurs noms sont inspirés de personnages issus de l’œuvre de Shakespeare. Moment d’anthologie lorsque la formation explose, les instruments jouant à l’unisson. On croirait entendre cent instruments et non pas dix. La conclusion se fait par quelques coups de gong bien sentis, après une dernière minute orgasmique, riche en frissons. Après coup, l’auteur de ces lignes, repense à toutes les fois où il a été trop indulgent avec certains artistes autochtones qui mériteraient, honnêtement, de se faire tirer les bretelles plus souvent, tant leurs disques et concerts sont parfois vides de sens, voir musicalement inutiles, mais toujours encensés. Meilleur concert de ce début d’année et véritable coup de pied au derrière à la convenance, Moons of Uranus devrait en inspirer plus d’une et plus d’un.