Le quartier du Grund est source d’une étonnante activité en ce jeudi 17 janvier. En début de soirée, les rues sont bondées. Dans l’impossibilité de se garer, toutes les places étant occupées, certains automobilistes tentent des manœuvres ambitieuses, provoquant des micro-bouchons rue de Münster. Les klaxons fusent. Dans le cloître de l’abbaye règne cependant une toute autre atmosphère. La harpiste Julie Campiche trône dans un coin de la vaste cour. Son imposant instrument apaise les esprits. 160 personnes ont répondu à l’appel des cordes pincées. Sven Helbig est au sound design. Le temps s’est figé. Dans le cadre de la seconde édition du festival Reset, un marathon musical débute. Trois autres arrêts sont prévus. Les huit musiciennes et musiciens programmés cette année ont travaillé durement, jours et nuits, pour présenter au public autochtone le fruit de leur labeur. L’an dernier, la première du festival avait été une pure réussite. Quid de cette nouvelle édition, premier évènement musical d’ampleur de ce début d’année ?
Le second concert de la soirée est prévu au Vins Fins, la capacité limitée de l’endroit est sans pitié. Très vite, le bar à vin est plein à craquer. Le silence est gentiment exigé par les instances organisatrices qui se sont glissées devant la scène improvisée. Yazz Ahmed est à la trompette et Jasper Hoiby est à la contrebasse. Un petit groupe de refoulés se résigne et part à l’avance au Mesa Verde où aura lieu le prochain concert. L’altiste Séverine Morfin et la chanteuse Claire Parsons débutent leur set. Les cordes sont douces puis stridentes. Un bel instrument que l’alto dans un contexte jazz, tantôt violon, tantôt guitare, tantôt tambour. Claire Parsons se lance et métamorphose sa voix qui bourdonne. L’atmosphère est gentiment angoissante. La chanteuse répète en boucle les premiers vers de ce qui semble être Planetarium de la Poétesse Adrienne Rich, « a woman in the shape of a monster, a monster in the shape of a woman ». Pas de balade jazzy et sucrée mais une succession de morceaux presque ésotériques. L’alliance fonctionne.
On redescend ensuite via l’ascenseur, direction le Café des artistes. Tandis que la bar se remplit, une femme se met au piano pour interpréter du Chostakovitch puis du Stevie Wonder. Le grand écart est complet mais le public est ravi. Jef Neve se met enfin au piano et Alfred Vogel est aux percussions. L’association est démente, le jazz brut, comme désarticulé, revient en force et inonde la pièce. Les quelques passages expérimentaux et contemplatifs obligatoires fatiguent un peu à la longue, mais qu’à cela ne tienne. Le rythme et la frénésie finissent par reprendre le dessus. Alfred Vogel déborde de ressources, le jeu du batteur autrichien, tout en nuances, étonne.
Les choses se compliquent un peu lors de la deuxième soirée. Tandis que la salle Robert Krieps se remplit peu à peu. Ainhoa Achutegui, la directrice des lieux, et Pascal Schumacher, le directeur artistique du festival, présentent le programme. Ils ouvrent cette soirée de gala où les huit artistes vont présenter la somme de leur travail acharné. Les retardataires sont installés aux premiers rangs. Tour à tour les quatre musiciennes montent sur scène et jouent timidement une à une de leur instrument. Claire Parsons murmure. Les musiciennes ne se répondent pas et semblent jouer quatre pièces distinctes. Elles sont rejointes par leurs camarades masculins qui viennent pimenter un peu cette musicalité confuse. De fait, l’alliance piano, contrebasse et percussions fonctionne à tous les coups. Cette longue pièce introductive de musique expérimentale, assurément contemporaine, où les sons s’entrechoquent, agit comme une berceuse sur l’audience.
Ce n’est que lorsque les lumières s’allument et que les applaudissements se font entendre que les artistes décrochent leurs premiers sourires. Une vague impression de complicité se fait alors ressentir. Le show continue et la bonhomie de Jef Neve au piano est communicative. Une légère odeur d’inachevé plane malgré tout dans la salle. Chaque artiste ayant amené sa propre couleur musicale, le tout semble assez diffus. Malgré le sympathique discours de remerciement de Julie Campiche, on a encore du mal à croire en une parfaite symbiose du groupe.
Le dernier soir et comme l’an dernier, en début de soirée, la Brasserie Wenzel fait salle comble. La capacité maximale de 150 personnes est assez vite atteinte. Le concert proposé est sold out et des personnes sont refusées à l’entrée, un luxe et un comble pour un évènement jazz au grand-duché. Plusieurs heures durant les musiciennes et musiciens de l’octuor paritaire, rejoints par des artistes autochtones, proposent un flot ininterrompu de musique. Le cadre est informel et la pression qui transparaissait encore sur les visages des artistes la veille n’est plus qu’un lointain souvenir. La scène est une plaque tournante et les différentes couleurs musicales peuvent enfin se développer sur la durée. Un verre à la main, et de la bonne musique en fond sonore, on dresse le bilan.
Tandis que la première édition du festival privilégiait une musique jazzy, plutôt swing et festive, c’est l’expérimentation qui a été mise en avant en ce début d’année. Yazz Ahmed, Julie Campiche, Sven Helbig, Jasper Hoiby, Séverine Morfin, Jef Neve, Claire Parsons et Alfred Vogel ont offert au public, venu en nombre trois soirs durant, de la musique cérébrale, n’ayant pas peur des grands mots. Le pari était risqué et le résultat finalement assez mitigé. Si l’affluence était au rendez-vous, aucun problème de ce côté-là, la fraternité qui aurait dû lier les artistes ne s’est jamais dévoilée de manière flagrante. Regrouper autant d’artistes une semaine durant est assurément un tour de force mais d’un point de vu objectif, certains profils n’ont tout simplement pas matché. On en retiendra toutefois quelques beaux moments, en attendant l’an prochain.