Il y a maintenant un an de ça, Michel Reis, Marc Demuth et Paul Wiltgen publiaient leur troisième album commun, Once in a blue moon, sur le label italien Cam Jazz. L’introduction du projet Freedom Trail a par ailleurs été récemment clipée. Dans le court film signé Emile V. Schlesser, très réussi au demeurant et publié sur Youtube, on retrouve les trois compères, dédoublés. Déambulant dans le quartier du Grund et ses alentours, le trio et leurs doubles finissent par se retrouver au Café des Artistes, pour y découvrir encore d’autres clones d’eux-mêmes en train de jouer de la musique avec malice. Neuf musiciens pour le prix de trois en somme. Plus de vingt ans après leur tout premier concert commun, ils se réunissent une fois de plus, à Opderschmelz, en ce dimanche 2 juin. Ils ne sont pas seuls, ils partagent la scène avec un invité d’exception, le saxophoniste américain Joshua Redman, ami et énième admirateur du trio. Le quatuor ponctuel était en Suisse la veille, un passage par Dudelange semblait obligatoire.
Le grand auditoire est plein. Plus de 300 personnes sont annoncées. C’est qu’on a affaire ici avec le haut du panier du jazz, non pas simplement autochtone, mais européen, voire mondial avec Redman. Après une introduction en douceur et pleine de moments contenus, c’est justement Freedom Trail qui suit pour un premier moment qui en impose. Il y en aura d’autres. Des solos à répétition se suivent, avec toujours autant de brio. Paul Wiltgen tient le rythme, ou plutôt le contrôle. Sur un solo chaudement applaudi, son jeu est saccadé, plein de coupures pour autant de gros coups assénés, qui raisonnent avec fracas. Marc Demuth, force tranquille, explose parfois. Cette imprévisibilité détone autant qu’elle étonne. Ses grands élans quasiment lyriques en font frémir plus d’un sur la scène. C’est justement sur les planches que tout se joue. Outre la complicité vieille de vingt ans que renvoient les trois musiciens à l’assemblée, la symbiose du quatuor ne fait aucun doute.
Tandis que le trio Reis Demuth Wiltgen se lance dans les envolées virtuoses qu’on lui connait, Redman se fait tout petit, suit le cours de la musique sur sa partition, grimace et hoche frénétiquement la tête lorsque Michel Reis débute un solo des plus flamboyants. Un dialogue jouissif entre le piano et le saxophone fait bondir la salle. « Ces types-là marchent sur l’eau ! », lâche un spectateur à l’étage, visiblement charmé. On lui donne raison. Le quatuor enterre sur place toute la scène autochtone avec une aisance folle. C’est que leur naturel donne l’impression que ce qu’ils effectuent là est un jeu d’enfants pour eux, mais la quête de toute une vie pour les autres. Leur jeu est multiple, romantique ou désarticulé, droit comme un i ou bien aussi plié que les genoux du saxophoniste ou le dos du pianiste lorsqu’ils sont lancés dans de formidables improvisations. Deux rappels sont donnés. Et alors qu’ailleurs, un pet dans un micro suffirait à se voir lever toute l’audience, la standing ovation n’est ici que partielle. Le public d’Opderschmelz est décidément difficile à convaincre mais pourra difficilement dire qu’il a passé un mauvais moment.