Un des indices les plus importants pour vérifier l’efficacité de la justice est la durée des procédures. Le grand-duché se fait régulièrement épingler par la Cour européenne de Strasbourg à cause du dépassement du délai raisonnable. « Le Luxembourg n’a pas été en mesure de fournir des statistiques en raison du fait que les logiciels de collecte de données statistiques au sein de l’administration judiciaire étaient encore en cours de mise en place, » précise un communiqué du ministère de la Justice en réaction à la publication du nouveau rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej). « Dans ce contexte, l’amélioration de la collecte et de la qualité des données statistiques reste une des priorités du ministère de la Justice dans le cadre des réformes dans ce domaine dans les années à venir. »
Il y a de quoi s’inquiéter. Dans un récent arrêt1, les juges de Strasbourg ont même été plus loin que d’habitude : « La Cour note avec une très vive inquiétude qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, puisqu’elle a constaté à plusieurs reprises une violation de l’article 6 § 1 dans des affaires soulevant des questions de délai raisonnable semblables à celle du cas d’espèce. (…) Elle ne saurait assez insister sur le fait que les États doivent se donner les moyens nécessaires et suffisants pour garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable. » Ces propos sont inhabituels de la part des juges de la Cour des droits de l’homme, qui restent normalement très circonspects lorsqu’ils constatent le dépassement du délai raisonnable.
Or, le Luxembourg a justement les moyens. La crise économique n’a pas touché le budget consacré au fonctionnement de la justice. Plus de personnel a même été recruté, alors que partout ailleurs en Europe, la tendance a été de limiter des recrutements supplémentaires. Entre 2006 et 2008, le budget total annuel consacré à la justice a même augmenté de douze pour cent. Cependant, dans ces chiffres n’apparaît pas clairement la part du budget consacrée à la nouvelle Cité judiciaire, pourtant en pleine construction en 2008, lorsque les données ont été prélevées par la Cepej.
La gratuité de l’accès à la justice et l’aide judiciaire – généreuse en comparaison avec les données d’autres pays membres du Conseil de l’Europe – pour aider les justiciables qui ne disposent pas de ressources nécessaires, garantissent l’efficacité de l’accès à la justice. Cependant, la communication entre les tribunaux et les parties demeure peu développée en Europe et le Luxembourg n’y fait pas exception, même si des efforts ont été réalisés en matière d’équipement informatique. La question des dossiers électroniques, soulevée régulièrement par les avocats, n’a par exemple toujours pas été résolue. Le Luxembourg se situe dans le peloton du milieu des États analysés en ce qui concerne le niveau d’informatisation des tribunaux.
La justice luxembourgeoise demeure toujours réticente lorsqu’il s’agit de trouver le moyen d’évaluer ses performances. Or, le grand-duché reste un des quatre seuls pays à ne pas avoir développé d’indicateurs de performance pour l’activité de ses tribunaux. La plupart des pays mesurent le bon fonctionnement de leurs tribunaux au nombre d’affaires pendantes et au stock d’affaires, à la durée des procédures, au nombre d’affaires terminées, et à l’ouverture de nouveaux dossiers. Accessoirement, la productivité des juges et des membres du personnel des tribunaux, la qualité judiciaire et la qualité de l’organisation des tribunaux, le pourcentage d’affaires traitées par un juge unique, la satisfaction des usagers quant aux services rendus par les tribunaux, l’exécution des décisions en matière pénale, les coûts de la procédure judiciaire et la satisfaction des employés peuvent être d’autres indices qui permettent de mesurer la qualité de la justice.
Les résultats sont maigres aussi en matière de mesures alternatives au règlement des litiges. La plupart des pays en appliquent au moins deux – la médiation et l’arbitrage –, alors que le grand-duché est un des quatre pays à n’appliquer que la médiation dans une procédure pénale – encore qu’il ne le fait que très rarement.
En outre, le Luxembourg est un des rares pays à ne pas imposer de formation continue aux magistrats, alors que trente pays sur les 47 membres du Conseil de l’Europe ont choisi cette voie, surtout pour les juges qui exercent des fonctions spécialisées.
Le gouvernement luxembourgeois a assuré qu’il allait faire des efforts en matière d’indépendance et de transparence. L’année dernière, le service presse et le site internet www.justice.public.lu ont par exemple été lancés. Il a aussi annoncé la création du poste du juge des affaires familiales et affirmé que la création du Conseil national de la magistrature était en cours. En matière de réformes des procédures civile, pénale et administrative, le gouvernement doit encore mettre en musique les révisions du droit de la famille, du droit de la faillite, du droit des sociétés et du droit du requérant d’examiner le dossier. Au chapitre des arriérés judiciaires et de l’efficacité de la justice, le gouvernement a promis la « simplification et accélération des procédures judiciaires, sans pour autant remettre en question la qualité des jugements ». En outre, il compte réduire les frais de justice, réviser les règles pour bénéficier de l’aide juridique, renforcer les droits des victimes et des témoins, développer la médiation dans tous les domaines – y compris pénitentiaire –, étendre les programmes de formation pour les membres des tribunaux et établir des programmes de sensibilisation des juges sur les situations sensibles. Cependant, il n’a pas précisé dans quel délai (raisonnable) il comptait adopter toutes ces réformes.