Sept ans après les faits, le cinéaste Erik Poppe revient sur le massacre de 69 étudiants et la mort de huit autres personnes dans les attentats en Norvège. Un homme n’a pas sa place dans le film : l’auteur des attaques. Le réalisateur ouvre son long-métrage sur les vidéos de surveillance originales montrant l’explosion dans le quartier gouvernemental à Oslo pour enchaîner avec un long plan fixe du campement de la Ligue de jeunes travaillistes sur l’île d’Utøya, à quarante kilomètres de la capitale. Le camp de jeunes du Parti travailliste norvégien sera la deuxième cible du terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik, celui auquel le cinéaste ne donnera pas de visage. Car il choisit de rester avec les victimes et notamment avec Kaja (Andrea Berntzen), une adolescente qui entre dans ce même plan fixe en regardant la caméra. « Tu ne comprends pas…écoute-moi une minute ! », puis elle détourne son regard et on comprend qu’elle s’adresse à travers un kit mains libres à sa mère pour lui expliquer qu’ils n’ont rien à craindre après l’explosion à Oslo. Pour le spectateur, cette phrase qui lui est aussi adressé et annonciatrice du fait que les images qui suivent sont aussi près de la réalité qu’une fiction puisse l’être, mais qu’elle ne suffiront jamais pour nous faire ressentir la terreur vécue par les victimes.
La caméra, maniée avec excellence par Martin Otterbeck, ne lâchera plus Kaya qui, quelques minutes avant l’arrivée du terroriste, se chamaille encore avec sa sœur et discute avec des amis l’attentat d’Oslo. Un des étudiants, de confession musulmane, a peur d’être stigmatisé davantage si jamais il s’avérait que des islamistes auraient commis l’attaque. Dans ce moment, comme dans bien d’autres du long plan-séquence qui constitue le film, Erik Poppe arrive à faire d’Utøya non seulement une reconstruction terrifiante d’un crime abominable, mais réussi également à aborder des sujets convergeant autour de l’avènement de l’extrême-droite. À travers les brefs dialogues entre les jeunes, avant et pendant l’attaque sur l’île, le réalisateur nous montre que la lutte contre les idées radicales et pour l’empathie se fait non seulement à travers les bulletins de vote, mais à chaque moment de la vie quotidienne.
Finalement, ce sont ces moments qui justifient l’existence même du film, dont la légitimité a bien été mise en question depuis sa présentation à la Berlinale. Ils permettent aussi de comprendre pourquoi les scénaristes Siv Rajendram Eliassen et Anna Bache-Wiig ont créé des personnages et des situations fictives sur base de témoignages au lieu de reproduire des moments réels. Le fait de montrer les jeunes terrifiés fuyant les coups de feux d’Anders Breivik retentissant pendant 72 minutes à travers la forêt pourra toujours être vu comme un acte de voyeurisme, surtout si tôt après les événements. Or, le sens apporté aux images par Erik Poppe et l’attention à l’égard des victimes en font un document cinématographique remarquable auquel d’autres films sur les événements, comme celui de Paul Greengrass pour la chaîne Netflix doivent se mesurer. Fränk Grotz