Comme chaque année depuis sa création en 2008, le Festival Cineast offre une occasion rare de découvrir des films d’Europe centrale et orientale. De leur ancienne affiliation à l’Union soviétique, on ne trouve cependant aucune trace de nostalgie parmi les sept fictions en lice pour la compétition officielle. Pas même, dans les paysages, quelques monumentales statues faisant office d’iconic pictures (des clichés vintage que l’on trouvera, en revanche, dans I feel good de Gustave Kervern et Benoît Delépine). À l’Est, la table rase a bel et bien commencé, mais pour ne laisser place à aucun avenir radieux. Face aux difficultés économiques, la jeunesse rêve d’ailleurs, louche vers les pays occidentaux. En direction de la Finlande, pour le jeune ouvrier estonien de Take it or leave it (2018, Liina Trishkina-Vanhatalo). Vers la France et sa légion étrangère, pour les deux freluquets parcourant sans but la campagne tchécoslovaque (Winter flies, 2018, Olmo Omerzu). Vers la Hollande enfin, pour le fils prodigue de retour à Noël parmi les siens (Silent night, 2017, Piotr Domalewski). Des héros ordinaires tantôt déplacés au gré des délocalisations, tantôt errant sur la route du désœuvrement. Des drames sociaux, principalement, qui témoignent de l’effondrement de la cellule familiale. Car étonnamment, cette table rase ne se limite pas à l’ère soviétique, mais s’étend à d’autres structures historiques.
La famille, qui était pour Aristote la première organisation politique, n’est pas hermétique au dehors. Elle est traversée par les logiques et les tensions qui agitent le monde ; l’un se reflète dans l’autre. Une « leçon » que l’on doit aux sagas familiales et historiques de Luchino Visconti (Senso, Rocco et ses frères, Le Guépard, etc.). Ici, les familles sont au bord de l’implosion. Pas même dans la très catholique Pologne de Silent night, on ne parvient à garder le sérieux à la lecture d’un cantique ; et cela, notamment, de la part des plus jeunes générations… Ce qui rassemble ces fictions, c’est l’écart, sinon la rupture générationnelle qui met en péril la cellule familiale. Les ados de Winter flies sont deux anges suspectés par des policiers, unique présence (répressive) des adultes dans ce film. Dans Take it or leave it, c’est un homme qui élève seul sa fille après la disparition de la mère… Jusqu’au jour où, mariée à un riche Suédois, celle-ci réapparaît pour demander la garde de l’enfant.
C’est dans Aga, de Miklos Lazarov, que la rupture générationnelle accède à une valeur générale, pour ne pas dire universelle. Le cinéaste bulgare a renoué pour l’occasion avec le cinéma anthropologique de Robert Flaherty, auquel il fait référence par le biais d’un personnage nommé Nanook. Il retrace, à son tour, les gestes quotidiens d’un couple âgé vivant de la pêche en Sibérie, parmi d’immenses étendues enneigées et hostiles. Les hommes et les animaux disparaissent en silence, pris dans un destin commun, atteints d’un même mal mystérieux. L’équilibre écologique est rompu, de même que les parents vieillissent seuls, loin de leurs progénitures travaillant en ville. C’est aussi le seul film dans lequel le réalisateur n’a pas oublié ce que le cinéma recèle de fantastique. Des légendes merveilleuses infiltrent la réalité, contrairement aux autres films qui restent agrippés au réel. De quoi enchanter un peu le monde, tout en sachant bien qu’il court à sa perte.