Paolo Sorrentino nous prévient dès le départ: l’agneau, fusse-t-il de Dieu, n’enlève plus aucun pêché de ce bas monde. Pire, il se retrouve sacrifié sur l’autel du confort des autres, les puissants. Après une scène d’exposition gavée de symbolisme, le réalisateur italien continue dans l’exubérance et l’excès en nous présentant Sergio (Riccardo Scamarcio), petite main politique et fripouille de haut vol. Sergio aime les filles, la coke et les filles qui aiment la coke. Alors Kira (Kasia Smutniak) est faite pour lui. Assoiffé de pouvoir, du moins l’idée qu’il s’en fait, il parvient à séduire la courtisane qui pourrait l’emmener jusqu’à « lui », c’est-à-dire Silvio Berlusconi (Toni Servillo), grand amateur de jeunes femmes peu farouches. Nous sommes en 2009 et le multi-milliardaire au teint solarium est un peu au creux de la vague : déchu de son siège de président du conseil, il est au bord du divorce. Sergio loue la villa voisine de la sienne en Sardaigne et embarque un harem pour pouvoir l’approcher. Le Dottore, bronzé, rafistolé, prépare sa riposte et, plus imbu de lui-même que jamais, dévoile peu à peu jusqu’où il peut aller, c’est-à-dire jusqu’au bout.
Partout, frontalement, excessivement, aucune démarche n’est assez vulgaire pour Berlusconi. Et il en est de même pour Paolo Sorrentino, qui, dans Loro (« Eux ») ne craint ni le mauvais goût, ni le symbolisme vain, qui au contraire tente de les animer en une force qui devient farce. Phoenix tentaculaire et vite inquiétant, Berlusconi manipule à tout-va, construit des châteaux de paille sur du vent et sourit, sourit encore de se penser si malin : la littérature comme le cinéma s’est déjà gaussé de cette mégalomanie ringarde (si passée de mode que même les États-Unis ont adopté le modèle à casquette rouge). Les faits sont là, les soirées bunga-bunga, l’arrogance, le fric et la reconstruction express de logements à L’Aquila pour redorer une élection en demi-teinte, tout a été dit, le personnage est infect.
Le cinéaste et son acteur Toni Servillo, qui avaient déjà dépeint un politicien sur le retour dans Il Divo (2008), sont des élèves appliqués en ce qui concerne la gestuelle et le verbe. Sorrentino souhaite faire un instantané de l’Italie, mais n’en filme probablement que les contours et se sert d’une dramaturgie peu lisible pour parvenir à ses fins. Car après avoir ultra-esthétisé la vanité, la luxure et l’ambition de Sergio et sa cour, le réalisateur consacre la seconde partie de son film au retour du président italien sur son trône. De longueurs supportables, on passe ainsi à un ennui profond. Ce Berlusconi-là manque paradoxalement de corps et Sorrentino se contente alors de discussions filmées en champs contre champs, ou bien face à face, là où son interlocuteur n’aura pas besoin de le convaincre qu’il est le meilleur, le plus fort, le plus intelligent. La conversation avec sa femme, très attendue, n’aura finalement aucun impact non plus. Montrer que tout coule sur lui et rien ne le touche ? Pourquoi pas, si ce n’était, à nouveau, l’utilisation à outrance des symboles et références qui contenteront certainement ceux qui auront su les reconnaître.
C’est sur les dernières minutes que le réalisateur achève notre patience, avec ces images organiques de la chute des monuments de L’Aquila, les visages entremêlés de l’ambivalente Protection Civile et des habitants, puis de cette statue du Christ, ressuscité des ruines… Définitivement, Loro n’est certainement pas le coup de poing attendu mais une lente douleur évitable