L’histoire du premier homme sur la lune portée au grand écran : une proposition qui évoque tout de suite l’appréhension d’un film technocrate, aux phrases choc, faisant l’apologie de l’héroïsme. La stupeur est d’autant plus grande lorsqu’on se rend compte que Damien Chazelle a su en faire un film intimiste sur un père dont l’acte le plus héroïque est probablement d’avoir maintenu vivant son couple.
Dans First man, le cadre de l’intrigue est donné par la fameuse course à l’espace entre l’Union Soviétique et les États-Unis comme ultime concours de virilité. Traumatisé la mort de sa fillette Karen après une longue maladie, Neil Armstrong, pourtant jugé « trop distrait » par ses supérieurs au départ, devient peu à peu la figure de proue de cette course folle. Au début des années 1960, les hommes ne montrent pas leurs sentiments. Après les funérailles, Armstrong s’enferme dans son bureau et ferme le petit rideau avant de s’effondrer en sanglots. Devant sa femme Janet et ses collègues, il se donne un air impassible. Les sept ans entre le célèbre discours du président Kennedy et l’atterrissage sur la lune le mènent constamment à ses limites physiques et psychologiques. Le réalisateur et son chef-décorateur Nathan Crowley se sont posé la condition de se tenir à peu de choses près de la taille originale des cabines et des capsules spatiales, afin de rendre le côté claustrophobe et solitaire des missions. Les acteurs ont tous suivi des entraînements spécifiques et rencontré les familles des personnages qu’ils incarnent. L’illusion de revivre ces moments historiques est parfaite, mais pas une fin en soi.
Damien Chazelle fait dominer les gros plans, reste toujours très près de ses protagonistes et de leurs émotions enfouies. Pour incarner le couple Armstrong, il a choisi des spécialistes des personnages introvertis : Ryan Gosling et Claire Foy, connue pour son rôle d’Elisabeth II dans les deux premières saisons de la série The Crown. Derrière les heures d’entraînement, les risques aux proportions absurdes, les angoisses de son épouse et la pression de l’opinion publique, contestant le sens de tout cette entreprise coûteuse face aux véritables problèmes du pays comme la ségrégation et la guerre
du Vietnam, le plus grand défi pour Armstrong reste le deuil de sa fille. Dans ce chaos émotionnel, Damien Chazelle permet souvent à la caméra de bouger de manière intuitive, à l’épaule.
Le réalisateur de Whiplash (2014) et de La La Land (2016), signe avec First man un autre chef-d’œuvre. Immuable dans son approche de mise en scène face aux exigences épiques de son sujet, il démontre que le cinéma grand public américain a encore autre chose à offrir que des acteurs exceptionnels jouant des scénarios ultra-formatés. Après avoir ouvert la Mostra de Venise cette année, First man jouera certainement un rôle dans la prochaine course aux Oscars. Fränk Grotz