Pour les fundraisers et donors faisant tourner la machine politique des partis républicain et démocrate, un poste d’ambassadeur au Grand-Duché constitue une récompense pour services rendus et dollars déboursés. Pour le gouvernement luxembourgeois, cette forme de vénalité des charges présente une opportunité. Car les « ambassadeurs politiques » fournissent un accès à la Maison blanche que les diplomates de carrière, simples fonctionnaires, seraient pour la plupart incapables d’assurer.
En poste depuis une année, l’ambassadeur Randolph (Randy) Evans est un opérateur influent mais discret du Parti républicain. Cheveux rouquins, montre en or au poignet et championship ring à la main (il reste grand fan des Georgia Bulldogs, l’équipe de football américain de son ancienne université), l’avocat d’Atlanta avait été un des grands donateurs à la campagne de Donald Trump. (Avec lequel il a pourtant un point de divergence fondamental : Evans, co-auteur en 2012 de Climate Change and Insurance, ne nie pas la réalité du changement climatique.)
Au cours des années 1980-1990, Randolph Evans avait été le protégé puis « director of political operations » de Newt Gingrich. Avant Trump et Fox News, Gingrich avait compris que l’électeur répondait à des émotions plutôt qu’à des arguments, à des symboles plutôt qu’à des faits. Le « whip », puis président du Congrès réinventait la politique américaine comme guerre culturelle, diabolisant l’adversaire démocrate et l’« elite liberal media », bloquant tout compromis bipartisan. Après la démission de son mentor en 1999, Randolph Evans travaillera pour Dennis Haster, le successeur de Gingrich à la présidence du Congrès. (Longtemps glorifié au Luxembourg comme arrière petit-enfant d’un émigré Miseler, Hastert sera condamné en 2016 à quinze mois de prison pour abus sexuel sur mineurs.)
En tant que juriste, Randolph Evans a représenté de nombreux membres du Congrès. Dans une interview étonnamment candide accordée en juillet 2018 au Tageblatt, il fanfaronne : « Si j’écrivais un livre, la moitié de Washington devrait démissionner. Ils auraient terriblement peur. Je connais trop de secrets. » Chargé d’introduire le futur ambassadeur lors de son audition de confirmation devant le Sénat en novembre 2017, le sénateur Johnny Isakson évoquait l’avocat d’affaires : « Randy Evans is a senior partner in the firm of Dentons in their financial services and institutions practice. Dentons is the largest law firm in the world. There is no better qualification that you could ask for for somebody to go to a place like Luxembourg ».
Avant de démissionner de chez Dentons (qui entretient depuis trois ans une antenne au Luxembourg), Randolph Evans gagnait plus de 150 000 dollars par mois, hors bonus. Lors de son hearing au Sénat, il présentait le Luxembourg comme « thought leader and economic engine » : « What Luxembourg lacks in size, it makes up for in punch. […] From my perspective, as Singapore is the doorway to Asia, Luxembourg is rapidly becoming, if it has not already become, the doorway to the European Union. »
En mars 2019, le nouvel ambassadeur américain défraie la chronique. À l’occasion de la visite du Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, il publie une missive adressée au gouvernement luxembourgeois. Evans y tire un parallèle entre l’occupation russe de la Crimée et l’Occupation nazie du Luxembourg, enjoignant le Premier ministre Xavier Bettel (DP) à interpeller son homologue russe. « To challenge illegal aggression, Luxembourg is at the perfect moment, in the perfect place to forcefully call on Russia to reverse course and leave Crimea. After all, who in Europe or even the world has greater standing to rise to the issue ». Les réponses de Xavier Bettel aux questions parlementaires sur cet incident diplomatique tenaient en une phrase : « Le gouvernement respecte la liberté d’expression ; l’Ambassadeur des États-Unis a ainsi le droit de se prononcer. »
Pour ceux qui avaient suivi son hearing de confirmation quelques mois plus tôt, les déclarations de Randolph Evans n’avaient rien d’étonnant : « I think Russia poses a greater threat today than it has at any time probably since the Cuban missile crisis. Its techniques and methods are more aggressive, much more cyber oriented. » Or, comme l’a confirmé le « Mueller Report » sur l’ingérence russe dans les élections de 2016, ces actes de sabotage ont surtout profité à Donald Trump.