Lorsque Hugo Chavez remporta les élections présidentielles en 1998, le Venezuela était un des pays les plus riches de la région, mais avec des inégalités de revenus telles que soixante pour cent de la population vivait dans la misère. Chavez fut le premier politicien à aborder ouvertement le problème de la pauvreté et sa victoire fut une conséquence logique du contexte historique.
Hugo Chavez entama immédiatement des réformes profondes qui générèrent une confrontation avec les classes traditionnellement au pouvoir, mais aussi avec les États-Unis, qui ne voyaient pas ces changements d’un bon œil. Ces réformes, combinées à la hausse des prix du pétrole, ont toutefois permis de réduire considérablement la pauvreté et de maintenir la popularité du président à un niveau élevé jusqu’à sa mort.
En décembre 2012, trois mois après avoir remporté les élections pour la quatrième fois, Hugo Chavez annonça qu’il repartait à Cuba pour subir une opération très délicate. Il annonça que, s’il ne revenait pas, Nicolás Maduro, son vice-président, prendrait le relai de sa « révolution ». Ce fut la dernière apparition publique de Chavez.
En raison de sa faible popularité et de son manque de charisme, Nicolás Maduro initia une vaste campagne de promotion de son image, avant même d’annoncer la mort du dirigeant. Quand celle-ci fut annoncée le 5 mars 2013, la campagne électorale de Maduro était déjà en marche. Un mois plus tard, celui-ci remporta les élections avec une très faible marge d’à peine 200 000 votes (sur une population électorale d’environ 18,5 millions).
Nicolás Maduro devait immédiatement faire face à des problèmes économiques structurels, amplifiés par la violente chute des prix du pétrole en 2013. Toutefois, au lieu de prendre des décisions économiques cohérentes permettant de minimiser l’impact négatif sur la population, Maduro renforça le contrôle sur l’économie. Ainsi, son gouvernement décida de préserver le contrôle des changes et de recourir à la création monétaire pour financer l’immense déficit, ce qui généra une spirale hyper-inflationniste considérable.
Pour se dédouaner de toute responsabilité, le gouvernement accusa les producteurs et commerçants d’augmenter leurs prix de façon arbitraire afin de « salir » la gestion de Nicolás Maduro. Cela faisait soi-disant partie d’une « guerre économique » encouragée par les États-Unis. Plusieurs d’entre eux furent même emprisonnés dans des opérations très médiatisées, sans preuves ni autre forme de procès.
Avec la chute libre de la production pétrolière, principalement due à la mauvaise gestion de l’entreprise nationale (PDVSA), l’émigration massive des travailleurs et les sanctions financières internationales imposées en 2017, l’État voyait ses recettes s’effondrer.
En conséquence, lorsqu’une large part de la population voyait son pouvoir d’achat drastiquement diminuer, le gouvernement créa les Clap, des paniers alimentaires vendus à prix réduit pouvant nourrir un foyer moyen. Pour les recevoir, il était néanmoins obligatoire de s’enregistrer dans une base de données permettant au gouvernement de contrôler leurs bénéficiaires. Ainsi, le gouvernement pouvait menacer et exclure de ses programmes sociaux tous ceux qui le critiquaient.
Dans un tel contexte, la popularité de Nicolás Maduro s’est effondrée. Les classes populaires, qui avaient bénéficié d’une amélioration de leurs conditions de vie sous l’ère Chavez, vivaient désormais dans des conditions pires qu’auparavant.
Afin de maintenir un contrôle absolu sur l’État et de contourner l’Assemblée nationale qui, pour la première fois depuis l’arrivée de Chavez, bascula dans l’opposition, Nicolás Maduro créa en 2017 une Assemblée nationale constituante avec des pouvoirs élargis. Il emprisonnait ou forçait à l’exil tous ses adversaires politiques potentiels, qu’ils soient de l’opposition ou de son propre parti, en les accusant de trahison, de corruption, de tentative d’attentat ou même de meurtre. Plusieurs centaines de militaires ont également été emprisonnés sans autre preuve que des accusations publiques de conspiration de la part de Maduro.
Lorsque le mandat électoral de Nicolás Maduro toucha à sa fin, profitant du manque de consensus dans l’opposition, le président convoqua des élections anticipées. Mais les principaux partis politiques avaient été exclus suite à des allégations de formalités soi-disant non remplies et la plupart des hommes politiques crédibles étaient soit emprisonnés, soit sous ordre judiciaire ne leur permettant pas de se présenter, soit en exil. Les principaux partis décidèrent donc de boycotter les élections et appelèrent les citoyens à ne pas voter. Le gouvernement, en contrepartie, menaçait de retirer leur carte d’éligibilité aux Clap à tous ceux qui ne voteraient pas.
Le résultat fut une victoire nette de Maduro, mais avec une faible participation. Comme la Constitution vénézuélienne ne prévoit pas un minimum de participation pour légitimer une victoire, le vote fut validé et Maduro remporta l’élection avec 67 pour cent des votes. L’opposition, toutefois, annonça qu’elle ne reconnaissait pas les résultats et reçut le soutien de 62 pays, contrastant avec les douze pays qui reconnurent la victoire de Nicolás Maduro.
Le 10 janvier, jour officiel de l’investiture du nouveau président, l’Assemblée nationale déclara une « absence totale » du président de la République, ce qui impliquait que son président prenne provisoirement le contrôle de l’État pour organiser des élections dans les trente jours qui suivent.
Pour la première fois depuis l’arrivée de Nicolás Maduro au pouvoir en 2013, l’opposition paraissait réellement unifiée en soutenant l’investiture de Juan Guaidó, le jeune président de l’Assemblée nationale. Une vingtaine de pays se sont empressés de reconnaître l’autorité du nouveau gouvernement provisoire. Les États-Unis déclarèrent même qu’ils transféraient le contrôle de tous les actifs de l’État vénézuélien à Juan Guaido, y compris ceux de l’entreprise de raffinage Citgo (filiale de PDVSA aux États-Unis) et tous les comptes bancaires de la Banque Centrale et de PDVSA. L’Union européenne, quant à elle, sans position commune, fit plutôt appel à de nouvelles élections.
Afin d’attirer les militaires, policiers et fonctionnaires à sa cause, l’Assemblée nationale ratifia le 25 janvier une loi d’amnistie, qui prévoit l’exclusion de poursuites légales pour tout abus commis durant les présidences de Hugo Chavez et de Nicolás Maduro par les fonctionnaires qui reconnaîtraient l’autorité du nouveau gouvernement. Cette action n’a cependant pas encore eu l’effet désiré puisque les forces de l’ordre continuent d’être loyales envers Nicolás Maduro.
La légalité du gouvernement provisoire, même si elle est politiquement justifiable, n’est toutefois pas aussi évidente qu’il y paraît. Premièrement, comme indiqué plus haut, une élection présidentielle n’exige pas de minimum de participation pour être valide. Dès lors, même si la participation à l’élection de mai 2018 fut très faible, en dessous de cinquante pour cent, celle-ci a bel et bien eu lieu et personne n’a mis en doute les résultats. Bien que les principaux partis politiques aient effectivement été exclus du processus électoral, d’autres partis importants ont volontairement décidé de ne pas se présenter. Au final, l’élection eut lieu avec plusieurs candidats de partis moins représentatifs.
Deuxièmement, l’article 233 de la Constitution est très spécifique quant à la déclaration de « faute absolue » et il n’existe aucune provision pour les cas où les résultats électoraux sont contestés.
Mais le plus inquiétant est la vitesse avec laquelle les États-Unis ont reconnu l’autorité de Juan Guaidó et cela sans exiger que son terme soit limité à l’organisation de nouvelles élections. De plus, l’équipe nommée par le ministre américain des Affaires étrangères pour gérer la « transition » au Venezuela est dirigée par Eliott Abrams, qui n’est autre que l’instigateur de l’invasion du Panama en 1989 et l’architecte de l’affaire « Iran-Contra » dans les années 1980, lorsque les États-Unis financèrent les « escadrons de la mort » en Amérique centrale afin d’étouffer l’émergence de mouvements sociaux. En tant que conseiller de George W. Bush, Eliott Abrams avait également participé à l’organisation de la tentative de Coup d’État contre Hugo Chavez en 2002.
Par ailleurs, lors de sa campagne électorale, Donald Trump a déclaré à plusieurs reprises que les États-Unis ne devaient plus intervenir dans des pays tiers sans exiger une contrepartie importante. Ainsi il prit l’exemple de la Lybie, où il estimait qu’ils auraient dû exiger cinquante pour cent du pétrole libyen en échange du soutien aux rebelles en 2011.
Le week-end dernier, Juan Guaido annonça que les États-Unis allaient établir un couloir humanitaire pour distribuer des aliments et des médicaments. Malgré le manque de détails de cette opération, il paraît manifeste que ce « couloir » soit dirigé par l’armée. Le doute est donc permis sur les intentions américaines pour une transition démocratique et pacifique au Venezuela.
Bien que le départ de Nicolás Maduro soit indispensable au rétablissement de la démocratie au Venezuela, reconnaître automatiquement le représentant de l’opposition ne constitue pas la solution. Toute reconnaissance de Juan Guaido doit s’accompagner d’une exigence de restitution des garanties démocratiques et d’un engagement de respect des revendications du peuple. Après près de vingt ans dans l’opposition, les nouveaux dirigeants pourraient être tentés de se venger et détruire tous les succès des administrations antérieures. De telles actions ne seraient pas sans danger puisque, selon des enquêtes menées en 2018, bien que Maduro bénéficie d’une cote de popularité inférieure à vingt pour cent, environ la moitié de la population se considère encore comme chaviste, à savoir partisan de la politique de Hugo Chávez.
Pour garantir cette transition démocratique, il serait souhaitable de trouver des facilitateurs sans conflits d’intérêt, qui puissent superviser un processus électoral libre et équitable. Un nouveau gouvernement de transition devrait garantir le retour au pays de tous les exilés politiques, aussi bien ceux de l’opposition que ceux qui ont servi du coté de Nicolás Maduro. La haine et la soif de vengeance ne feraient qu’entraver le retour à la démocratie et la reprise économique du pays tout en aggravant la situation.
Il faut donc éviter à tout prix que ce soit l’équipe de Donald Trump qui prenne le leadership international de cette transition. Mais ce n’est qu’avec une position commune bien définie que l’Europe pourrait le faire. Le 7 février se tiendra en Uruguay la première réunion du « Groupe de contact international sur le Venezuela » où la position de l’Union européenne devrait être clarifiée. Pour contrer la pression américaine, davantage de pays devraient favoriser la voie du dialogue. L’Union européenne devrait jouer un rôle de premier plan pour éviter une escalade du conflit interne et assurer une transition pacifique qui garantisse la prospérité du peuple vénézuélien.