Depuis quelques années, la collection Graphiti des éditions Phi s’est faite plutôt discrète. Si, auparavant, l’on y voyait apparaître des noms de poètes francophones (et parfois pas des moindres, comme l’argentin Juan Gelman, lauréat du prix Cervantès, plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel, mais mort en janvier de cette année, ou le poète belge Jacques Izoard, ou encore le polonais Charles Dobzynski), récemment, la collection se concentre plutôt sur les écrivains autochtones. Ce qui cause parfois de légers soucis de diversité. Sur les huit dernières publications, trois étaient de Lambert Schlechter. Ce qui ne pose, en somme, pas un énorme problème, Lambert Schlechter, c’est toujours bien, ou plutôt, c’est toujours mieux qu’une diversification vers le domaine des livres de cuisine. Mais bon…
Mais en novembre 2014, les éditions Phi viennent de publier les recueils de deux jeunes auteures : Vol de nuit à ciel ouvert, de Nathalie Ronvaux, qui n’en est pas à sa première publication chez Phi, son recueil Vignes et louves (2011) ayant reçu le prix d’encouragement de la Fondation Servais. Quant au deuxième livre, il est d’une jeune écrivaine qui en est ici à sa première publication, mais qui est une publication double. La jeune Fabienne Faust, née en 1978, enseignante d’anglais, diplômée de littérature italienne et anglaise, qui a néanmoins choisi la langue française comme langue d’écriture, parce que, comme elle dit, « c’est dans cette langue que les mots [l’]ont touchée ». Elle a été l’élève de Jean Portante, aussi, ce qui traduit un certain goût pour le genre poétique, pour les images plus ou moins dissociées, pour l’absence de fin fermée de la poésie, contrairement au roman, comme elle le dit elle-même – ce qui se trouve être le sempiternel reproche qu’on adresse au « roman », en général, alors qu’il s’adresse tout au plus aux romans dits de divertissement. Bon, bref…
Double publication, donc, parce que Fabienne Faust publie, en même temps que le recueil paru chez Phi, et qui s’intitule Tu veux danser ?, un autre livre de poésie, en France, aux éditions Mélibée (une des ces maisons d’autoédition, qui vous accompagnent tout au long du processus de publication) intitulé Terre de. Tableaux vivants.
Tu veux danser fait partie de ces recueils de poésie dont Phi a la recette : tableaux minimalistes, plus de blanc que de noir (un autre préjugé qu’on devrait arrêter de proclamer haut et fort : La poésie a droit à sa quantité d’encre et sa dose de pattes de mouche), fait de micro-tableaux, d’impressions un peu floues, d’images éphémères, parfois vraiment belles (« C’est aux épaules que je te reconnais/ pendues/ sous L’amandier »), d’autres qui auraient mérité de mûrir encore un peu, plus banales – car, et attention, voici deux autres préjugés, a) la poésie ne pouvant qu’avancer à coups d’associations et analogies sémantiques plus ou moins compréhensibles, quand telles associations n’ont pas lieu, b) on suppose que le lecteur est un peu con. Les thèmes du recueil en sont l’absence, le petit néant que chacun porte en soi, le souvenir qui se dissout, toute la foutue dissolution du monde, en fait.
Le tout est rédigé dans un style très fragmentaire, tout en rupture (syntaxique et autre), en anacoluthes, en zeugmas (rapports impropres et disparates entre mots). Un trait bien distinct serait à relever, qui n’est pas inintéressant, qui est l’utilisation de MAJUSCULES, pour certains mots ou passages, qui, par moments, ne s’explique pas du tout, tandis que parfois, c’est comme si ces MAJ(bon j’arrête)uscules inséraient une espèce de distorsion spatio-temporelle dans un poème, comme un fantôme, un écho, une absence qui crie. « Elle a encore jeté du pain/ aux canards ENVOLÉS ».
L’on remarque que l’auteure comprend la matière, ou plutôt (pour sortir du lexique lycéen) sait de quoi est fait le matériau, mais les images ne sont parfois pas aussi facilement domptables, ou à mettre en moule poétique, qu’on ne le voudrait. Ou peut-être que c’est le moule qui pose problème.