La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, dite Hadopi, a envoyé cette semaine ses premières notifications à des internautes dont les comptes Internet sont suspectés d’avoir servi à télécharger des œuvres protégées par le droit d’auteur. L’organisme a été mis en place en France l’an dernier par les lois Hadopi et Hadopi 2, cette dernière avait été rendue nécessaire par la censure de la Cour constitutionnelle à l’encontre de la première mouture du texte.
Les faiblesses de la loi, fondée sur le principe de la « réponse graduée », étaient apparentes dès sa discussion à l’Assemblée nationale. Compte tenu de la possibilité qu’un compte soit piraté et serve à des téléchargements illégaux à l’insu de son propriétaire, elle prévoyait l’obligation pour l’internaute de se prémunir contre un tel piratage de son accès Internet et d’être en mesure de prouver qu’une telle protection est en place. Les experts avaient signalé qu’Hadopi avait toutes les chances de punir les téléchargeurs à la petite semaine et de laisser indemnes les pros du piratage, capables d’effacer leurs traces.
Une autre faiblesse était le recours aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), relais choisis pour l’envoi des notifications. Cette dernière est devenue apparente avec le refus officiel de Free d’envoyer des notifications : le FAI, qui a transmis les données d’identification de ses abonnés suspectés de piratage, a fait valoir que la Haute Autorité n’avait pas conclu avec lui une convention, prévue par la loi, afin d’encadrer l’envoi de ces mails d’avertissement. La Haute Autorité a affirmé de manière catégorique que Free se mettait hors la loi ; Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Économie numérique, a été plus nuancée, reconnaissant lors d’une interview sur RMC que « ce n’est pas d’ailleurs encore très clair de savoir ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait ».
Un service d’aide aux internautes qui se retrouvent dans le collimateur d’Hadopi, SOS-Hadopi, a été lancé au mois de septembre. Ce « service technique et juridique » entend assister les internautes face au « délit de négligence caractérisée » instauré par la loi Hadopi. Emmené par Jérôme Bourreau-Guggenheim et Renaud Veeckman, SOS-Hadopi est un collectif d’artistes et de professionnels du monde numé-rique. L’idée est de s’opposer par des moyens légaux, et au nom de la protection de la sphère privée, à l’installation des dispositifs anti-piratage prévus par la loi. SOS-Hadopi affirme que ces dispositifs s’apparentent à des mouchards, ce que la Haute Autorité dément.
Sur korben.info, un blog-forum consacré à « l’actualité informatique high tech et geek », c’est un habitué du forum, qui signe de son pseudo TuNI54, qui a annoncé, penaud, avoir reçu par courrier électronique une de ces premières missives d’intimation d’Hadopi. Sur ce forum, toutes les astuces pour se prémunir contre Hadopi ont été détaillées ces derniers mois. Ce qui fait écrire à son animateur : « Et le premier à se prendre un courrier d’Hadopi est un lecteur de Korben.info ! Ah bah bravo ! aaah la honte ! Sérieux les mecs, j’vous ai rien appris ? LOL ».
Clairement, les premiers pas d’Hadopi n’ont rien de convainquant. Ce qui est particulèrement inquiétant, dans cette polémique, c’est le ton passablement agressif employé par les représentants officiels de la Haute Autorité et son ministre de tutelle. « Free, par son comportement, prend en otage ses abonnés », a ainsi affirmé la Haute Autorité. Se croit-elle au Niger ? « Il ne s’agit pas de surveiller et punir mais bien de contrôler et de garantir, en d’autres termes de ‘civiliser’ Internet », expliquait le ministre de la culture Frédéric Mitterrand en annonçant il y a quelques jours l’allocation de onze millions d’euros au fonctionnement de l’Hadopi à son budget 2011. On se permettra de douter du bien-fondé de cette notion de « civiliser » Internet. Réglementer la Toile, certainement. Mais le terme « civiliser » a des relents colonialistes du plus mauvais aloi, et les promoteurs d’Hadopi seraient bien inspirés de choisir un vocabulaire plus citoyen.