Une opération de police de grande envergure a été menée dans plusieurs pays européens mardi soir avec pour objectif de mettre à genoux un réseau de partage de fichiers. Précédée d’une enquête de deux ans menée par la police belge, l’opération a porté sur treize pays et visait le piratage de films et de séries télévisées en néerlandais ou sous-titrées dans cette langue, a précisé le bureau du procureur de Belgique. 49 serveurs ont été saisis et dix personnes ont été arrêtées. Les pays concernés étaient la Belgique, les Pays-Bas, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Norvège, la Pologne, la Suède, la Croatie, la République tchèque, l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie. Un des serveurs confisqués en Pologne avait une capacité de 150 à 180 terabytes. Un porte-parole a précisé que les pirates utilisaient subrepticement des serveurs d’hôpitaux ou d’université.
Selon plusieurs sources, c’est une organisation appelée « The Scene » qui était visée. Elle est décrite par le site P2P News comme un réseau international constitué de plusieurs couches. Au sommet du groupe se trouvent ceux en compétition pour obtenir des matériaux protégés par le droit d’auteur et les publier sur le Net. Le groupe a un leader et les membres se connaissent par leurs pseudos en ligne. Celui qui partage un film est appelé « le fournisseur ». La couche suivante comprend les « topsites », avec des serveurs de données, souvent auprès de sociétés informatiques, qui hébergent les fichiers et les diffusent vers d’autres réseaux. Le pan suédois de l’opération portait sur ces « topsites ».« The Scene » serait responsable de la dissémination d’environ 80 pour cent des films en néerlandais téléchargés illégalement.
Nul doute que The Pirate Bay, le plus grand site de torrents du Net, était visé par cette opération. Il était d’ailleurs indisponible pendant quelques heures mercredi, avant d’être de retour en ligne dans le courant de la journée, d’abord sans liens vers les torrents, pour redevenir ensuite pleinement fonctionnel, se targuant d’être, pied-de-nez aux polices européennes ayant mené l’opération, le « site de BitTorrents le plus résistant du monde ».
Un des serveurs visés en Suède appartenait à la société PRQ, qui a été visitée mercredi matin par cinq policiers qui voulaient connaître deux adresses IP. PRQ est aussi l’un des sites qui hébergent WikiLeaks, mais la police a assuré que ce dernier n’était pas visé. Selon le journal norvégien Aftenposten, un ressortissant norvégien a été arrêté après que la police belge eut fourni une adresse IP qui a mené à une adresse physique à Rogaland, dans le sud-est du pays. L’homme aurait participé à « The Scene » par le biais du réseau de chat IRC et mettait à disposition des fichiers grâce à une connexion en fibre optique dont il disposait chez lui.
Cette opération reflète une nouvelle stratégie adoptée par les studios de cinéma et les compagnies de disque : plutôt que de poursuivre les téléchargeurs individuels, les ayant-droits visent désormais l’« avant-garde » du piratage, c’est-à-dire les individus qui cherchent à être les premiers à diffuser les films du moment, avant même parfois leur sortie en salle. Les méthodes utilisées dans cette compétition sont des plus variées : copies réalisées en salle obscure à l’aide d’un caméscope ou directement depuis un projecteur, détournement de copies envoyées aux critiques de cinéma, obtention de copies de films en voie de montage grâce à des complicités dans les studios etc. La férocité de la compétition est fonction du buzz qui entoure chaque production. Pour les films les plus en vue, il est fréquent de voir circuler des douzaines de copies, en général de très mauvaise qualité – pour le « fournisseur », c’est néanmoins l’occasion de faire figurer son pseudo dans le nom du fichier et d’apparaître sur les listes des fichiers les plus échangés. L’efficacité de la nouvelle stratégie adoptée par les studios semble cependant d’autant plus aléatoire que la plupart de ces « fournisseurs » agissent pour la gloire, et non par appât du gain : ils sont très rapidement remplacés.