Craigslist, le premier site web d’annonces classées au monde, a confirmé cette semaine avoir fermé sa section dite de « services pour adultes », durant un témoignage donné devant des membres du Congrès par William Powell, directeur des services à la clientèle de la société. La section avait été mise hors ligne début septembre, d’abord remplacée par la mention « censuré », puis entièrement fermée, sans que Craigslist ne fournisse d’explications (les liens en question restaient toutefois actifs en dehors des États-Unis). Compte tenu de l’attention accordée à cette affaire, on attendait avec impatience que les dirigeants de la société fournissent une indication sur l’attitude qu’elle allait adopter.
« Ceux qui publiaient des annonces de services pour adultes sur Craigslist le feront à d’innombrables autres endroits », a dit Powell. « Nous espérons sincèrement que les services de police et les groupes de pression y trouveront des partenaires coopératifs », a-t-il ajouté. Autrement dit : chez nous, vous pouviez au moins surveiller ce marché, bonne chance dans vos tâches de gardiens des bonnes mœurs s’il s’éparpille sur une nuée d’autres sites, y compris hors des États-Unis.
Sur le web, Craigslist fait figure d’ancêtre, puisque le service a vu le jour en 1995, lorsque Craig Newmark, nouveau venu à San Francisco, l’initia sous forme d’un message envoyé à ses amis. Une « liste de distribution ». Les premières livraisons annonçaient des événements pour programmeurs vivant et travaillant dans cette ville. Peu à peu, grâce au bouche-à-oreille, le service allait s’étendre pour devenir aujourd’hui une entreprise au chiffre d’affaires estimé à au moins 150 millions de dollars. Entre-temps, Craig Newmark, qui reste le principal actionnaire, a accueilli à son conseil d’administration un représentant d’eBay, qui a acquis 25 pour cent du capital en 2004. Le site, qui est resté très simple dans son apparence, propose des offres d’emploi, sa principale source de revenu, mais aussi des voitures, des logements, des meubles, des rencontres, des forums de discussions et tout le bric-à-brac que l’on trouve sur les pages de petites annonces des journaux. Avec 20 milliards de pages vues par mois, c’est le septième site le plus fréquenté aux États-Unis.
Assez rapidement, Craigslist a ajouté un « disclaimer » demandant aux internautes de confirmer qu’ils étaient majeurs pour avoir accès aux rubriques de rencontres. Powell a détaillé devant la commission du Congrès les efforts de coopération entrepris avec des juges et des policiers au fil des ans pour filtrer les annonces et éviter que les sections adultes ne servent au commerce d’êtres humains et à l’exploitation d’enfants. Mais pour certains gardiens des valeurs morales, ce n’était pas assez : pour eux, le site servait de plaque tournante à la prostitution. Une des premières salves était venue de la police de Chicago, qui accusait Craigslist d’être « la plus grande source de prostitution de la nation ». Des procureurs, jugeant que la fermeture de la section « services érotiques » concédée en 2009 était insuffisante et que Craigslist continuait de profiter de la prostitution, ont exigé il y a quelques mois de la société qu’elle révèle combien lui rapportaient ses rubriques de services sexuels et mette sur la table ses méthodes pour filtrer les annonces.
De fait, le succès rencontré par l’offensive « anti-prostitution » menée ces dernières années contre Craigslist est typique de l’emballement que déclenchent si facilement aux États-Unis les causes lancées par les ligues de vertu. D’abord, l’équipe qui gère Craigslist ressemble bien plus à un groupe d’idéalistes ayant eu la main heureuse sur le web qu’à des maquereaux aux dents longues. Ensuite, il faudrait être naïf pour croire que cette offensive bien-pensante a un tant soit peu réduit la prostitution. Ceux qui se servaient des sections « services érotiques » ont commencé à publier leurs annonces sur d’autres rubriques et à utiliser des périphrases et noms de code pour décrire les services offerts. L’Electronic Frontier Foundation, qui protège les droits des internautes et les libertés fondamentales sur le Net, a manifesté son « profond désaccord » face au mauvais procès fait à Craigslist.