L’Europe divisée entre l’Ouest et l’Est

Le grand fossé

d'Lëtzebuerger Land vom 15.01.2016

On avait l’habitude d’une faille Nord-Sud en Europe avec une Grèce au bord de la faillite financière et des pays nordiques en bonne santé économique. Mais la crise des immigrants révèle aujourd’hui un clivage entre l’Ouest de l’Europe ouvert à l’immigration et l’Est très frileux à ce sujet. Comme au temps du rideau de fer, l’Europe se divise entre l’Est et l’Ouest. Un axe Budapest-Varsovie se met peu à peu en place pour bouder les décisions concoctées à l’Ouest, principalement en Allemagne et en France.

Réputé pour ses dérives autoritaires, le Premier ministre hongrois Viktor Orban s’est néanmoins trouvé un allié à Varsovie dans le parti Droit et Justice revenu au pouvoir en octobre 2015. Son chef, Jaroslaw Kaczynski, a reçu jeudi 7 janvier le Premier ministre hongrois lors d’une rencontre qui a duré six heures. « La Hongrie ne demandera jamais de sanctions contre la Pologne, a déclaré Viktor Orban. Je demande à nos partenaires européens plus de respect pour les Polonais qui le méritent bien. »

Viktor Orban espère mobiliser l’Europe de l’Est contre une Europe occidentale fragilisée par la crise des réfugiés. « Arrêter le flux des migrants est la question décisive de l’année 2016, a-t-il affirmé à la radio publique le 8 janvier. Mis à part la Hongrie, aucun pays ne défend les frontières de l’espace Schengen, et c’est pourquoi des contrôles aux frontières internes de l’espace Schengen se mettent en place. Nous n’allons plus pouvoir circuler librement. » Plus de 390 000 migrants ont traversé la Hongrie en 2015 en direction de l’Ouest, mais très peu y sont parvenus depuis que la Hongrie a érigé des barbelés le long de la frontière avec la Serbie.

Le système de quotas d’immigrants est critiqué par presque toutes les capitales de l’Europe de l’Est. « Nous ne pensons pas que ce soit la solution ou qu’il soit opportun de parler de quotas obligatoires calculés de manière bureaucratique, je dirais presque comptable, sans consulter les États membres, a déclaré le Président roumain Klaus Iohannis. Il s’agit d’êtres humains et non d’objets que l’on peut compter. » Toutefois l’opinion publique roumaine est majoritairement hostile à l’immigration et la menace d’attentats terroristes est souvent associée par les médias avec le phénomène de l’immigration.

Même son de cloche à Bratislava. Le 8 janvier, le Premier ministre slovaque Robert Fico a demandé la tenue d’un conseil européen extraordinaire afin d’accélérer le renforcement des frontières européennes suite aux agressions dont des femmes ont été victimes dans la nuit du nouvel an à Cologne, en Allemagne. Les dirigeants européens s’étaient engagés à la mi-décembre à doter l’UE d’une force de garde-côtes et de gardes-frontières pour endiguer le flux de réfugiés. Mais le Premier ministre slovaque estime que le projet tarde à se mettre en place. « Le calendrier initial des préparatifs de cette agence est inacceptable, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 8 janvier. Lorsqu’elle sera créée, au plus tôt cet automne, au moins deux millions de migrants seront entrés en Europe. »

Le Premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka a appuyé l’initiative de son homologue slovaque. « La République tchèque est prête à soutenir toutes les mesures visant à accélérer la formation de gardes-frontières européens, y compris un conseil européen exceptionnel », a-t-il affirmé. Le prochain conseil européen est programmé les 18 et 19 février et devrait être dominé par la question des négociations avec la Grande-Bretagne. Malgré leurs différences, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et les pays baltes se sont mis d’accord spontanément sur le refus des immigrants.

L’installation d’un gouvernement eurosceptique en Pologne en octobre dernier n’arrange pas la donne à Bruxelles. Deux réformes récentes sur le fonctionnement du tribunal constitutionnel polonais et l’indépendance des médias publics ont suscité récemment des tensions entre Varsovie et Bruxelles. « Nous voulons soigner les maladies de notre État, a affirmé le ministre polonais des Affaires étrangères Witold Waszczykowski. Le monde ne peut pas évoluer dans une seule direction : un mélange des cultures et des races, un monde fait de bicyclistes et de végétariens qui combattent toutes les formes de religion. C’est le contraire de ce que les Polonais chérissent : la tradition, l’amour pour la patrie, la foi en Dieu et des familles normales formées par un homme et une femme. » Entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, une nouvelle fracture se met en place.

Mirel Bran
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