À peine arrivé de Corée, où il vient de repeindre un musée de Busan, œuvre monumentale éphémère qui sera amenée à disparaître complètement et repeinte en blanc dans deux mois, Jean-Luc Moerman contemple son exposition actuelle dans la galerie Nosbaum-Reding Art contemporain qui le représente au Luxembourg et dont il a investi les vitrines de ses formes hybrides organiques multicolores qui font désormais sa signature internationalement reconnue. Né en 1967 à Bruxelles, l’artiste belge portant les cheveux longs comme le Christ rappelle que c’est « le galeriste luxembourgeois Alex Reding qui l’a découvert, après ses études et des petits boulots à droite à gauche pour pouvoir vivre de son travail en atelier, et décidé de montrer son travail dans sa galerie avant Rodolphe Janssen en Belgique et Nichido Contemporary Art à Tokyo ». Aujourd’hui Transconnectionicons est sa quatrième exposition personnelle au Luxembourg.
Les œuvres de Moerman nées dans l’atelier ont, au fil des années, décidé de s’échapper et d’investir tous les supports possibles, de la rue d’abord, côtoyant « l’art urbain », les architectures de bâtiments, l’Art Cars avec la peinture sur voiture, pour ensuite entrer dans l’espace d’exposition tout en débordant, avec une grande liberté, remettant sans cesse en question les lois de White Cube. Ses formes disloquées, sont ici représentées sur des supports de tôle utilisée en carrosserie afin de créer sa propre tôle. « Mon art est fait de formes que je crée, explosions de couleurs ou miroirs qui n’ont aucune autorité et se ressemblent, elles annihilent les grilles de formatages imposées aux gens, les minorités élitistes dirigeantes, le problème du racisme, ne sont jamais finies, mutent en permanence en fonction du contexte qu’elles explorent, deviennent des tatouages et sont proches de techniques calligraphiques, pouvant être comprises par tous ».
Les formes de Moerman sont chargées d’intensité, flux d’énergie traversant le monde, toujours en mouvement comme les tatouages qu’il réalise pour des collectionneurs plus intéressés par acquérir une œuvre sur la peau pour la vie, plutôt que d’acheter une œuvre et l’accrocher chez soi, évitant le processus traditionnel d’achat-vente. « Les tatouages et les formes que je crée sont proches d’anciennes techniques primitives et permettent de faire face à l’immensité du cosmos pour se rassurer avant de disparaître. C’est une manière d’occuper l’espace vide, de créer des mondes visibles et de sortir des habitudes du quotidien. Tatouées sur de la matière organique, ses formes sont constamment en mouvement et puis mourront et disparaîtront du monde ». Cet état évoque la rapidité de la vie et le rapport au temps qui n’est pas le même dans différentes civilisations, comme le décalage existant entre Occident et Orient, dont l’Asie, culture qui in-téresse particulièrement Moerman pour son rapport à la vie en communauté. « Chez nous, c’est encore la loi du plus fort qui domine, comme chez les Mayas ».
Le travail de Moerman repose sur les expériences intérieures des hommes, le mystique, le sens et l’origine de l’existence, le rituel, le savoir ancestral et le rapport au groupe. « Je suis étonné de voir que l’école n’enseigne pas les choses innées et héréditaires que nous avons tous en nous, comme le rapport à la vie, l’intuition, l’imagination. Les valeurs marchandes et la rentabilité sociétales le sont par contre, mais nous nous apercevons aujourd’hui que cela reste très abstrait dans notre société. L’argent n’est qu’un outil, en Asie il permet de diriger le monde ». Dans l’exposition, un mur est entièrement recouvert de dollars peints en rouge et dont les effigies sont tatouées. Les portraits du dalaï-lama, Barack Obama, Marilyn Monroe, Monica Bellucci sur les couvertures de magazines célèbres dont le Time, le sont également. « Obama représente un leurre, c’est un chef de clan et de tribu qui ne décide finalement rien. Qu’a-t-il fait pour la cause noire aux États-Unis ? Ce sont les groupes de lobbys qui prennent les décisions. » Les images hypermédiatisées de Leonardo DiCaprio ou Kate Moss ne leur appartiennent plus, vantant les bienfaits de la chirurgie esthétique et sont mises face à une femme pakistanaise amputée du nez par les Talibans.
Moerman est tout aussi critique concernant la religion et il a réalisé une installation où des battes de baseball tatouées de l’effigie du Christ, « cet homme au beau teint de Suédois et au look de rocker », s’envolent comme des missiles spirituels dans l’espace intersidéral pour exploser en vol. Et pourtant, ce sont des objets fragiles de porcelaine « Aux États-Unis, certaines personnes pensent qu’ils sont faits par Dieu de terre glaise. La Bible est la première grande série télévisée et la religion a pris place dans le monde à coup de bâtons. Le baseball est le premier sport américain. Les gens s’investissent totalement dans les religions et puis un jour elles se brisent. C’est important de prendre ses distances face aux dogmes ».
Pessimiste sur l’avenir de notre civilisation capitaliste, mais gardant son humour, Jean-Luc Moerman ne veut pas faire de l’art pour l’art, se pose la question du gaspillage, de la pollution, de l’écologie et aimerait œuvrer pour la globalité, construire des sculptures pénétrables comme une cuisine pour manger, servant au groupe, à l’inverse de tant de sculptures extérieures qui ne servent à rien. « Aujourd’hui, nous voulons tout recycler, peignons tout en vert, mais les méthodes de recyclage sont également coûteuses et polluent. Pourquoi recycler le plastique alors que nous pourrions le bannir totalement ? Pourquoi acheter les aliments avec leurs déchets ? Nous avons pollué les Orientaux et maintenant refusons qu’ils polluent. » Comme dans chaque tribu, il y a un artiste avec des visions, souvent considéré comme le sorcier du village, il donne un sens au groupe et lui ouvre les yeux. Jean-Luc Moerman a choisi sa voie et se présente en sorcier armé de son art afin de rendre l’invisible qui nous dirige bien visible et transparent.