Ce n’est pas pour rien que cette exposition s’intitule Nikita, traduit du russe ce titre signifie « victorieux ». C’est une exposition guerrière ou plus encore, militaire que le jeune artiste Marcin Sobolev, né en 1981 à Bruxelles d’origines polonaise et russe, propose pour sa première exposition personnelle à la galerie Nosbaum [&] Reding. Nikita c’est aussi cette fameuse chanson d’Elton John dont le clip met en scène une femme soldat russe contrôlant les passeports à un check point et dont le chanteur tombe amoureux, sur fond de guerre froide, de pression politique, de renseignements et d’espionnage dans la course frénétique aux armements, progrès technologiques et conquête de l’espace. Mais Nikita, du grec Nicétas, dérivé de Nikê, déesse de la Victoire dans la mythologie grecque, sous-entendant clairement une victoire, est le lien que l’artiste, coiffé du chapeau vert soviétique d’Elvis Pompilio qu’il admire, édifie entre l’Antiquité et la Russie moderne.
Le visiteur entre dans une forêt de constructions folles en bois, armée dressée telle de multiples soldats au garde à vous. Le bois utilisé par l’artiste s’avère être du bouleau, symbole russe par excellence, homonyme de boulot renvoyant avec un peu d’imagination à la force du travail illustrée si magnifiquement par la faucille et le marteau sur le drapeau soviétique, ode au communisme, régime révolu. Ces sculptures post-constructivistes mêlent toutes sortes d’assemblages d’éléments divers. Le Constructivisme russe en faisait autant au début du XXe siècle. Constructions utopiques à la Vladimir Tatline, monuments décollant vers l’espace, engins futuristes et fusées d’aspects astronomiques. Des matériaux « durs » de ses ancêtres, Sobolev préfère lui, utiliser des matières douces traditionnelles, chaudes et naturelles comme les troncs d’arbres sculptés en forme de crayons grossiers dans un style un peu enfantin. Car il y a beaucoup de références qui ont trait au monde de l’enfance chez Sobolev, contes, traditions, folklores, mythes ancestraux et illustrations anciennes composés d’églises orthodoxes russes qui s’envolent dans les airs comme des mondes faussement en lévitation, reposant sur de simples trépieds dessinés aux coupoles bombées de l’ancienne Russie des Tsars.
On retrouve, au milieu des branchages sauvages des bouleaux déracinés, calcinés et ramenés dans l’espace d’exposition, post-Land Art soviétique, des jeux sur la typographie des lettres de l’alphabet russe comme dans les collages de Rodtchenko, mais ayant l’air d’avoir été exécutées par des enfants. Certaines couleurs suprématistes ça et là, carrés rouges, jaunes et bleus à la Paul Klee sur une technique mixte sur papier rassemblant gouache, encre de chine et peinture à la bombe trahissant une pratique antérieure de graffiti art. Les couleurs en bandes horizontales du drapeau tricolore russe, blanc, bleu, rouge rythment des frises multicolores enroulées autour de nids de coucou colorés, comme des chemins de fer sur des habitats précaires, igloos encordés sur pilotis d’où descend une longue échelle, abris de fortune, cabanes à oiseaux, structures semblant être couronnées d’antennes paraboliques perçant le ciel comme une fusée ou une kalachnikov. Les têtes des sculptures sont elles-mêmes revêtues de bonnets et de pompons colorés festifs. Des échelles gravissent un cheval de Troie orthogonale très formaliste. Tout est affaire de stratégies, de suprématie du territoire, camouflage et armes dégainées. Le chiffre trois semble dominer l’art de Sobolev, autant que la croix placée au-dessus de la porte, comme Malevitch l’aurait fait avec ses croix.
Nikita présente finalement un monde militaire habité de miradors, naturel, récits poétiques, fantaisistes, liés à l’imagination de l’enfance et du folklore slave. Un piaf dont la proéminence du bec évoque un martin-pêcheur, oiseau migrateur, comme une signature de Marcin Sobolev, « Marcin étant Martin le pêcheur, il lui suffit de traverser la route pour aller pêcher le poisson dont il se nourrit face à son atelier », selon l’auteur H. Bastenier. Les machines de guerre poétiques et de liberté sculpturales de Sobolev sont exécutées avec précision des traits formant «un univers tissé de lignes et de points qui dessinent les repères de la mémoire enfantine ».
Du surréalisme russe avec animaux symboliques et architectures subtiles, marqués par les contes que lui a transmis sa grand-mère, Sobolev a effectué une formation d’ébéniste et allie habituellement divers matériaux : sapins de Pologne, panneaux de constructions OSB, lin de Lettonie, coton, laine, fils barbelés, brique rehaussée de feuilles d’or, afin de construire un monde complexe. Il puise son inspiration au fil de ses voyages entre paysage macabre et rites sataniques de la mafia, Tchernobyl et carnets de dessins d’enfants, poupées russes, symboles de l’Est et de l’immigration, punitions de taulards, rencontres avec punks moscovites et artistes transsibériens.